Surveiller la police ?

En 1991, des émeutes éclatent à Forest. Confrontés à un climat de racisme délétère et de pratiques policières discriminantes, les jeunes du quartier sont révoltés. Qu’en est-il de la question des violences policières en 2015 ? Zoom sur le « copwatching », une pratique polémique qui constitue à filmer les policiers lors de leurs interventions. Illégal pour certains, nécessaire pour d’autres.

En uniforme ou en civil, sa mission est de maintenir l’ordre et de vous protéger. Mais si elle vous surveille pour garantir votre sécurité, que se passe-t-il lorsque c’est elle qui en vient à vous violenter ? Selon diverses associations comme la Ligue des droits de l’homme et de la Jeunesse ouvrière chrétienne, pas grand-chose ! ObsPol mentionne ainsi de nombreuses affaires dans lesquelles l’État belge a été condamné par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière a en effet sanctionné à plu- sieurs reprises le manque de mesures punitives prises à l’encontre des policiers qui abuseraient de leur autorité. Le dernier exemple en date remonte au 20 septembre dernier : dans l’arrêt Bouyid c. Belgique, la Cour a donné raison à deux frères qui affirmaient s’être fait gifler par des policiers bruxellois, estimant qu’il n’y avait pas de doute quant à la véracité des faits et que les policiers devaient donc être punis.

Les associations pointent également l’augmentation croissante de plaintes à l’égard de policiers, statistique confirmée par le Comité P qui enregistrait 2.686 plaintes en 2011, 2.680 en 2012 et 2.885 en 2013. Si l’organe de contrôle de la police relève bien la hausse non négligeable des plaintes entre 2012 et 2013 dans son dernier rapport, il ne propose pas d’éléments d’explication : est-elle due à une multiplication des cas de violence ou au fait que les individus sont mieux informés de leurs droits ? Dans tous les cas, cette hausse est à relativiser car 60 à 70% des plaintes déposées sont jugées non fondées et n’aboutissent donc pas.

Du copwatching… intelligent

Si ces violences ne sont commises que par une minorité de policiers, le fait qu’elles soient peu punies pose question. C’est dans le but de changer les choses que divers mouvements citoyens se sont décidés à agir. Certains ont ainsi adhéré au copwatching (littéralement, « regarder les flics »). Surtout implanté aux États-Unis et en France, le mouvement pousse les citoyens à filmer les contrôles de police pour récolter des preuves d’abus et ainsi « protéger les pauvres et les sans-abri des policiers qui sont les gardes du corps de la classe moyenne et des riches », selon l’une des pionnières de Copwatch.

L’initiative permet de documenter le phénomène des violences policières, mais elle n’est pas exempte de dérives. Outre les intellectuels et les étudiants, certains militants américains sont ainsi des jeunes ayant des comptes à régler avec la police. Face aux caméras d’Envoyé spécial, plusieurs d’entre eux ont en effet confié connaître des personnes ayant été violentées, voire tuées par des policiers. Certains d’entre eux étant rancuniers, leur engagement est personnel et non citoyen, et leur comportement, provocateur, est parfois loin de la position d’observateurs des premiers « copwatcheurs ». Une  autre dérive possible est celle du fichage des policiers considérés comme violents. En 2011, Copwatch France a en effet fiché plusieurs centaines de policiers, photos à l’appui. Ceux-ci ont porté plainte, invoquant leur droit à la vie privée et le risque de violences envers leur famille. Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur, les a soutenus et a demandé la fermeture du site, actuellement uniquement consultable depuis l’étranger.

En Belgique, le copwatching n’est pas une pratique organisée. Certaines associations poussent néanmoins les citoyens à la pratiquer de manière ponctuelle. Selon Mathieu Beys, juriste et membre d’ObsPol, il s’agirait de faire du « copwatching intelligent ». Filmer et/ou photographier les policiers durant leurs interventions seraient ainsi nécessaires pour prouver les violences. Il conseille néanmoins de flouter les visages en cas de mise en ligne et de ne pas ficher les policiers, ce qui serait contre-productif en plus d’être discutable aux niveaux légal et éthique.

De plus, cette initiative citoyenne pourrait être renforcée par une démarche politique : l’imposition de caméras dans les commissariats et les voitures de police. L’année dernière, après l’agression de deux jeunes par des policiers, Yvan Mayeur avait ainsi obligé les membres du commissariat central de Bruxelles à installer des caméras de surveillance dans tous les lieux où pourraient se trouver des citoyens. Pour Vincent Gilles, président national du SLFP Police, « la pose de caméras peut se comprendre » mais il « faut s’entendre sur l’usage qu’on va faire des images et du son qui seront captés ». En revanche, les policiers sont moins enthousiastes en ce qui concerne les caméras dans leurs voitures. S’ils invoquent leur droit à la vie privée, M. Beys estime « lamentable qu’il y ait des caméras dans tous les trams qu’on prend et pas dans les voitures de police qui sont pourtant des lieux à risque », faisant ainsi remarquer que « les caméras posent problème lorsqu’on les tourne vers eux, mais pas quand elles filment les faits et gestes des citoyens ».

Cette initiative citoyenne pourrait être renforcée par une démarche politique : l’imposition de caméras dans les commissariats et les voitures de police

Quant au copwatching en rue, la première réaction de nombreux policiers, dont Jamila Mesbahi, assistante de concertation, consiste à dire qu’il s’agit d’une « pratique illégale ». Ils avancent ensuite leur droit à l’image. L’avocat Bernard Mouffe rappelle toutefois que, si tout le monde dispose d’un tel droit, ce dernier ne tient plus à partir du moment où l’image est nécessaire pour discuter d’un sujet d’intérêt général. Si les avis divergent quant aux avantages du copwatching, Jocelyn Simonson, chercheuse liée à la Brooklyn Law School, estime qu’il est important de reconnaître cette pratique citoyenne à sa juste valeur car elle est selon elle l’une des solutions qui permettront de garantir la sécurité des citoyens sans pour autant stigmatiser les policiers.

Découvrez le reportage photo sur les émeutes de Forest d’Estelle Vanfrachem

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