Jeunesses à Cureghem: comment faire de son identité une force ?

Ayaan Abdirashid, Joëlle Albertini, Camille Cerise, Clémence Francotte, Milo Kasuku

Jeunesses à Cureghem: comment faire de son identité une force ?

Jeunesses à Cureghem: comment faire de son identité une force ?

Ayaan Abdirashid, Joëlle Albertini, Camille Cerise, Clémence Francotte, Milo Kasuku
Photos : Milo Kasuku
28 décembre 2016

Point d’ancrage privilégié par les primo-arrivants, Cureghem regorge de dynamisme, est toujours en mouvement. Toutefois, cible d’une réputation qui ne semble plus à refaire, la question des identités se pose avec d’autant plus de ferveur dans ce quartier d’Anderlecht. Conçues comme limitantes, leurs identités seraient-elles aussi un facteur d’engagement citoyen ? Quel est l’enjeu pour ceux qui ont fait le choix de s’investir à Cureghem ? Eclairage à partir de personnalités engagées à Cureghem. 

 

Berceaux, identités

S'engager à Cureghem, quel enjeu ?

Un engouement retrouvé pour le budget participatif.

Les idées fusent, les projets affluent et ces Cureghemois n’en démordent pas. Une verdurisation utile de Cureghem, un service de permanence sociale pour les primo-arrivants, des rickshaws pour seniors, etc. Les cerveaux de ces initiatives ? Les habitants sous le Contrat de Quartier (CQ) Compas qui, cette année particulièrement, ont investi en masse l’assemblée des budgets participatifs. Ils étaient près d’une centaine à être présents.

Mais que sont ces budgets participatifs? Il s’agit d’une initiative lancée dans le cadre des Contrats de Quartier Durables qui permet aux habitants de participer et de prendre des décisions par rapport à l’utilisation d’une partie de l’argent public. Cette année, pour la deuxième vague d’appel à projet, il reste encore une somme de 56,000 euros disponible.

Christelle Langlet, coordinatrice du budget participatif pour le périmètre Compas, vous explique son fonctionnement: 

 

Elle félicite l’engouement démontré par les habitants du périmètre Compas vis-à-vis du budget participatif. Cette initiative représente une réelle occasion de promouvoir un processus de décision collective. Là où certains trouveront leur place dans la réalisation des projets, d’autres peuvent également s’engager dans la sélection de ces derniers. L’objectif est réellement de relancer une dynamique dans le quartier. Pour Christelle Langlet, cela permet de se rencontrer mais surtout de se mobiliser, ensemble, autour de problématiques d’ordre collectif. Elle nous faisait part de sa surprise en voyant la grande proportion d’initiatives dirigée à l’attention des jeunes, surtout dans le domaine du sport. Si tous les jeunes ne s’engagent pas dans les budgets participatifs, un certain nombre était néanmoins présent lors de la Foire aux Idées organisée en amont de la sélection des projets. Un moment qui permet aux participants de se rencontrer et d’échanger des idées qui se concrétiseront peut-être.

Plaine de Liverpool, Anderlecht
Plaine de Liverpool, Anderlecht

Parmi le panel de projets proposés, nous avons rencontré deux responsables :

Brahim A., Cureghemois de 28 ans, est le représentant du projet de plongée en milieu naturel. L’appel à candidatures pour les participants débutera dans les prochains jours. Parmi les 25 candidats les plus intéressés, 10 seront retenus pour obtenir leur brevet et participer à une formation en plongée. Leur cible ? Des garçons et des filles entre 17 et 35 ans. L’objectif est de rassembler un groupe de personnes motivées et de réaliser une action qui dure dans le temps. « On va sélectionner 10 personnes cette année, mais on ne veut pas s’arrêter là. Ceux qui ont commencé pourraient devenir à leur tour formateurs, que tout le monde en profite et faire quelque chose qu’ils n’ont jamais fait de leur vie. Ça crée un groupe et des liens », explique Brahim. Quand on l’interroge sur l’enjeu d’un tel engagement, Brahim nous répond qu’il s’agit de « s’investir dans le quartier, être un minimum responsable, mener un projet au  bout et ne pas abandonner en cours de route. Prouver qu’on peut le faire et que tout est atteignable, il ne faut pas se fixer des limites ». Il souhaite réellement que les jeunes de Cureghem se rendent acteurs de quelque chose qui leur tient à cœur. « [Il ne faut] Pas se dire qu’il y a rien et qu’il n’y aura jamais rien. S’il n’y a pas de mouvement de notre part, ben justement c’est là qu’il n’y aura rien. Il faut se bouger et voir les options qu’on a pour mener notre projet à bien ». 

 

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Abdelhay El Ouarroudi, éducateur sportif auprès l’ASBL néerlandophone Buurtsport, propose, grâce à l’enveloppe des budgets participatifs, des activités sportives pour les jeunes à partir de 10 ans ainsi que des ateliers sportifs – activités extra-scolaires, stages, interclubs, etc. – sur le périmètre du CQ Compas. Le sport est un vecteur d’intégration aux yeux d’Abdel. « L’idée est aussi de rassembler du monde au sein d’un même quartier et de faire se rencontrer les parents. C’est aussi faire du social ». Nous l’avons rencontré un vendredi soir dans la salle de gym de l’Institut Providence qui se transforme dès 18h30 en la Kureghem Boxing Academy. Cinq soirs par semaine, Abdel propose des cours de sport aux jeunes de Cureghem. Toutefois beaucoup viennent d’ailleurs pour l’occasion (Molenbeek-Saint-Jean ou Saint-Gilles notamment). « L’important c’est d’attirer les jeunes du quartier, les sortir de leurs ‘’petites prisons’’, les faire se défouler », précise Faiçal, entraîneur bénévole. Abdel ajoute à cela : « Au lieu de rester dans la rue, [l’enjeu] c’est de leur offrir une activité cadrée et de faire quelque chose d’intéressant ». Abdel insiste sur l’importance d’apporter une figure d’encadrement et d’autorité à des jeunes qui se sentent parfois perdus. Néanmoins, le défi se mesure dans la difficulté d’assurer la pérennité de tels projets, là où les subsides des CQ sont temporaires (2 à 3 ans).

 

Un engagement pas si anodin à Cureghem

Une telle démonstration d’engagement citoyen n’est pas anodine à Cureghem. En effet, dans ce quartier, la situation s ‘apparente parfois à celle d’un mur entre les représentants institutionnels et les habitants. Les différentes parties ne s’entendent pas. D’un coté, on critique un manque d’intérêt, de l’autre on reproche… et bien, la même chose. Les jeunes se sentent « délaissés », et les pouvoirs publics « désertés » confrontés à des initiatives qui ne trouvent pas d’écho. Lors du débat du 13 octobre dernier aux Abattoirs d’Anderlecht, Taynion Cherubin, éducateur de l’asbl Bravvo déclarait :« J’estime qu’il y a des opportunités qui existent. Mais les jeunes qui habitent l’espace public ne l’utilisent pas forcément de manière éducative. C’est aussi à la jeunesse de mieux s’organiser. Lorsqu’on veut les réunir pour les faire discuter autour de thématiques afin de trouver des solutions et ensuite les faire remonter aux politiques, on a droit à des “Mais de toute façon, ça sert à rien !” Par contre, si on organise une sortie à Walibi, en deux heures, tout le monde est là. »

Face à cette situation, certains jeunes de Cureghem adoptent le discours du « de toute façon, ça ne vaut pas la peine, rien n’est fait pour nous ». C’est du moins l’avis de Brahim Ihichou,éducateur de rue à Cureghem, qui souligne que c’est une mentalité dans laquelle se cloîtrent certains jeunes Cureghemois.


 

Myriam Kolly, chargée de cours à l’Université Saint Louis, souligne que ce discours du « rien n’est fait pour nous » est surtout destiné aux acteurs institutionnels. Ils se sentent délaissés et abandonnés des pouvoirs publics en raison de leur lieu de résidence et d’installation. A cela, lors du débat Bruxitizen aux Abattoirs d’Anderlecht le 13 octobre dernier, Vital Marage, membre des services de prévention de la commune d’Anderlecht,  précisait : « Il faut arrêter de faire des caricatures et dire qu’il n’y a jamais rien qui est fait pour les jeunes ! Je n’ai jamais vu autant d’associations dans une commune. […] Je ne dis pas que c’est génial, mais je pense qu’il faut éviter les amalgames. » Si nous devrions nuancer l’acceptation que rien n’est mis en place pour eux, nous ne pourrions pas fermer les yeux sur le ressenti de ces jeunes. Il est certain qu’ils ressentent un sentiment d’abandon notamment nourri par une marginalisation scolaire – puis professionnelle, une systématisation des contrôles policiers d’identité, le radicalisme, dû auquel l’Islam devient de plus en plus facteur de marginalisation dans nos sociétés.

Phénomène assez remarquable à Cureghem, bien que leur quartier semble être la raison de leur abandon éprouvé, il agit cependant comme facteur d’identification et levier identitaire fort pour ses résidents. Avant d’être Belges, Bruxellois ou Anderlechtois, ils sont Cureghemois. Il s’agit d’une identité à part entière.

Face à ce sentiment, différentes réactions. Certains décideront de quitter le quartier, d’autres resteront. Parmi ceux restés, quelques habitants feront le choix d’investir Cureghem et se devenir un acteur engagé, notamment ceux ayant participé au budget participatif.

 

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Comme un compromis ?

C’est ainsi qu’aux yeux de certains Cureghem, le budget participatif apparaît comme une formule de compromis entre une structure et un financement communal – soit public – et des idées qui sont les leurs. C’est une occasion pour les habitants du quartier et, parmi ceux-ci, un certain nombre de jeunes, de se rendre acteurs de leur quartier.

J’avais aussi un peu ce ressenti quand j’étais plus jeune. Je me disais : on va jamais rien nous donner, t’as vu d’où on vient, t’as vu le quartier […]. Même nous quand on était jeune, on venait à ce genre d’assemblée où on essayait de se faire entendre. Et c’est vrai qu’il n’y a pas vraiment eu cette connexion. A force d’y aller et qu’il n’y ait pas de résultat, on finit par se dire qu’on aura jamais rien. Mais récemment avec les budgets participatifs, comme ce sont les gens du quartier  qui se font entendre et qui décident de ce qui sera fait ou pas fait, c’est plus facile pour nous. On se dit qu’on va mobiliser un maximum de personnes et on va vraiment faire quelque chose qui nous correspond. Brahim, porteur de projet auprès du budget participatif du CQ Compas.

Et là se joue tout l’enjeu d’une telle initiative. Il s’agit pour certains jeunes d’oser choisir Cureghem, d’y fonder un projet et par là, d’une certaine façon, trouver l’espoir d’un mieux. Brahim A. soulignait l’importance d’investir son propre quartier. « Pourquoi toujours envier d’autres quartiers ? On n’a pas à aller ailleurs, on peut le faire ici, de chez nous ». L’intérêt de ce budget participatif réside grandement ici. Il permet à des jeunes de devenir acteurs de leur quartier et de s’y identifier de façon active et pas seulement de subir sa réputation et ses maux.

Toutefois, ce paysage citoyen engagé est à nuancer. Quel est l’envers d’un tel engagement ? « Il y a une exigence pour eux d’être dix fois plus citoyen que les autres et ils le sentent. Du coup, ils ironisent. Ils se sentent les jeunes de service qui devraient montrer patte blanche ». Ils sont en quelque sorte « bourrés d’appels participatifs publics ». Le 26 octobre dernier, lors du débat tenu par l’Altermedialab au Festival des Libertés, on pouvait relever une même tendance. « Les jeunes ne peuvent pas glander », lançait une intervenante dans la salle. Une autre ajoutait : « ces injonctions à la participation sont beaucoup moins fortes dans les quartiers aisés ». Rien que les Contrats de Quartiers sont le résultat des politiques sécuritaires mises en place en Belgique dès les années 1990. En effet, les émeutes urbaines qui ont émergé à la même époque avaient mis à l’agenda politique de thèmes – pour ne pas dire problèmes – tels que l’immigration, l’insécurité et la criminalité. C’est également ces éléments qu’il faut avoir en tête quand on tente de comprendre l’instauration de telles initiatives.

Enfin, il est évident que de telles structures ne pourraient pas résoudre tous les soucis auxquels sont confrontés les cureghemois. Cureghem, pour ne pas parler d’Anderlecht dans son ensemble, n’en sera probablement pas révolutionné. La rupture de confiance entre les pouvoirs publics et les habitants du quartier est nette, la déconnexion est profondément ancrée et le travail à mener ne fait que commencer. Néanmoins, les participants au projet – proches et plus lointains – auront vécu une expérience de vie et de vivre ensemble tout à fait inédite et, rien que pour cela, leur défi est réussi.

Une vie pour se construire

Voici une histoire positive et chargée de sens, une histoire qui nous raconte que nous pouvons influencer notre propre destin. Nous avons rencontré Julien qui a accepté de partager avec nous sa réalité. Dans la bande dessinée qui suit, nous avons choisi, simplement, de mettre en avant l’attitude positive de Julien face à une, et parfois plusieurs situations qui auraient pu le conduire à faire les mauvais choix. Par ces quelques cases dessinées et cette expérience partagée, nous réalisons que les valeurs que l’on nous a enseignées ou que la vie nous a apprises peuvent nous offrir l’opportunité de faire les bons choix.
Merci à Julien de nous avoir permis de retransmettre son histoire.

 

 

BruXitizen : Les identités de Cureghem sous les projos

Ce reportage s’inscrit dans le projet BruXitizen 2016 qui avait pour thème « Jeunes : identités sous contrôle ? ». Bruxitizen s’est penché cette année sur le quartier de Cureghem, à Anderlecht.

Ce quartier, souvent mis en avant dans les médias pour ses «déficits», possède pourtant de nombreux atouts et une longue histoire d’accueil des populations immigrées. Plus qu’un quartier populaire, Cureghem agit comme un point d’entrée dans la ville pour les migrants.Et en tant que «quartier de transit», il est le témoin de dynamiques sociales et économiques étonnantes. Conséquence de c es incessants va-et-vient sur son sol, Cureghem constitue aussi le terreau d’identités multiples.

À l’heure où les questions identitaires ressurgissent en force sur la place publique (repli identitaire post-attentats; montée du populisme à nos portes comme de l’autre côté de l’océan), l’Agence Alter a choisi de s’immerger dans la richesse des identités de Cureghem.

À travers le regard des jeunes qui y habitent. Par le biais de la plume, du micro et du regard aiguisé d’autres jeunes, étudiants en journalisme de l’Université Saint-Louis, de Institut supérieur de formation sociale et de communication (ISFSC) et de l’Institut des hautes études des Communications sociales (IHECS) via le Bruxelles Bondy Blog.

Encadrés par des journalistes de l’Agence Alter, des photographes du collectif Krasnyi, l’illustratrice Lucie Castel et les professionnels de l’audiovisuel de l’asbl Gsara, ces étudiants ont pris le pouls de Cureghem, de ses jeunes habitants, de ses travailleurs sociaux, pour vous proposer cinq publications journalistiques «long format» sur la question des identités à Cureghem. Des productions multiformes alliant l’image, le texte et le son à découvrir sur https://www.altermedialab.be 

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