03/09
2020
par Par Marjorie Bruggeman, Lara Dock et Camille Philippe, étudiantes du MIAS1 de l'IESSID, catégorie sociale de la Haute École Bruxelles Brabant (Bruxelles)

Salle de consommation à moindre risque à Bruxelles : quels risques légaux ?

La loi anti-drogues de 1921 souffle ses bougies … 100 ans ça se fête, non ? Un siècle plus tard, la toxicomanie demeure un sujet à la fois tabou et peu investi par les politiques publiques. Face à ce désinvestissement, la Ville de Bruxelles et d’autres acteurs du terrain prennent les devants pour ouvrir la première salle de consommation à moindre risque (SCMR) en 2020. Cette ouverture est le prélude à un second dispositif prévu par la Région pour 2024-2025. Pourtant, la législation fédérale interdit la mise à disposition d’une telle salle. Les acteurs du projet risquent-ils d’être poursuivis pénalement ?

Parcours de vie, parcours de soins

Perçus par le reste de la population comme déviants et marginaux, les usagers de drogues n’ont souvent d’autre choix que de se cacher pour consommer. Ils développent ainsi des stratégies d’évitement et sont obligés de vivre dans la clandestinité. Selon le premier substitut du procureur du Roi de Bruxelles, Bernard Michielsen, la priorité est de sortir de cette situation de clandestinité afin de leur offrir un parcours de soins adéquat. D’après lui, «il est évident que socialement, nous avons une urgence sanitaire qui nécessiterait un trajet de soins.» Il paraît primordial de permettre aux usagers de consommer dans un endroit sûr, d’utiliser des produits testés ainsi que du matériel stérile, encadrés par du personnel qualifié. La création d’une SCMR a été pensée dans cette idée.

Les salles constituent un service hautement spécialisé au sein d’un réseau plus large de services destinés aux usagers de drogues. L’objectif est d’atteindre les groupes de population à haut risque qui consomment des drogues en public, plus particulièrement ceux qui consomment par voie intraveineuse ou par inhalation, et de contribuer à résoudre leurs problèmes. Ils ont des besoins importants en termes de santé publique qui ne sont pas souvent pris en charge par les services de santé, les services sociaux ou les services de police, posant ainsi problème aux communautés locales. Les structures de consommation de drogues ont la capacité de nouer et de maintenir des relations avec des usagers de drogues à haut risque, qui ne sont pas prêts à renoncer à leur consommation, ou pas désireux de le faire.

Depuis une trentaine d’année, une centaine de SCMR existent déjà dans de nombreux pays européens (Suisse, Allemagne, France, Espagne…). A travers leurs analyses, ces pays ont pu conclure que ces salles améliorent les conditions de sécurité et d’hygiène lors de l’usage de drogue ; qu’elles augmentent le recours aux services socio-sanitaires et qu’elles réduisent non seulement la consommation de drogues dans les espaces publics, mais aussi les nuisances qui en résultent. De plus, ces services ont davantage tendance à faciliter qu’à retarder l’entrée en traitement et n’entraînent pas d’augmentation locale du taux de criminalité liée à la drogue (Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies, 2018).

En Europe, les politiques de prévention en matière de drogues ont complètement intégré les SCMR. Et pourtant, en Belgique, le fédéral reste réticent à changer sa position face aux drogues. La loi du 24 février 1921 punit d’une peine d’emprisonnement et d’une amende «ceux qui auront facilité à autrui l’usage à titre onéreux ou à titre gratuit, soit en procurant à cet effet un local, soit par tout autre moyen, ou qui auront incité à cet usage.»

Les SCMR : nécessairement illégales ?

Il paraît évident que la loi de 1921 ne correspond plus à la réalité d’aujourd’hui. Nicolas De Troyer, assistant social de Transit ASBL et chargé du projet SCMR à Bruxelles, le confirme :

«Ce serait plus évident que l’on puisse légiférer là-dessus. À partir du moment où l’on crée un cadre légal, la justice se donne aussi la possibilité de mettre des balises autour de ces pratiques. Comme ce n’est pas fait, nous nous devons de créer des balises.»

Dans ce flou légal, des protocoles d’accord ont été signés par le Parquet de Bruxelles, la police, le Bourgmestre de la Ville ainsi que des professionnels du secteur (Transit ASBL, la Mass, Dune, Modus Vivendi…) pour encadrer ce nouveau projet.

Un modus operandi commun pour contourner l’illégalité

Il a été décidé qu’il y aurait trois zones complémentaires : une zone d’action des éducateurs de rue, une zone d’étude d’impact sur le quartier et une zone d’attention policière. La collaboration entre la police et les asbl du secteur est très révélatrice des changements de mentalité. Nicolas De Troyer explique : « La posture du policier va légèrement être modifiée au niveau du consommateur. Plutôt que de l’interpeller et de confisquer le produit, il pourra le rediriger vers la SCMR. Par contre, il y aura une attention redoublée pour éviter de créer un supermarché de drogues.»

Pour les travailleurs sociaux, un risque réel mais minime

Si actuellement, un travailleur social qui procure une aide à un consommateur pourrait voir sa responsabilité pénale engagée, le premier substitut du procureur du Roi se montre rassurant à ce sujet :

«Le parquet s’engage à ne pas poursuivre le travailleur qui fournit du matériel ou une aide dans le trajet de soins

Toutefois, le risque zéro n’existe pas car, en cas d’accident, la famille de la victime détient toujours la possibilité de porter plainte contre un travailleur social auprès d’un juge d’instruction. N’étant pas signataire des protocoles d’accords, le juge d’instruction reste tenu de mener une enquête. En cas de poursuites, le travailleur social pourrait encourir une peine correctionnelle.

Nicolas De Troyer ajoute : «Les travailleurs sociaux devront être informés de ce risque, mais aussi les usagers qui fréquenteront le dispositif. Le risque zéro n’existe pas mais on pourra justifier que nous avons suivi les règles.»

Les SCMR, un levier pour changer la loi de 1921 ?

Dans les pays européens, la création d’une SCMR a nécessité une modification de la loi en amont. En Belgique, il semblerait qu’un changement législatif ne soit pas à l’agenda politique malgré un certain engouement de la part des citoyens et de certains politiciens.

Pourtant, au-delà d’une modification de loi, c’est un changement des mentalités qui doit s’opérer, et cela ne peut se faire sans une réelle conscientisation de l’opinion publique. Nicolas De Troyer souligne :

«S’il y a bien une chose à changer, c’est dans l’enseignement. Nous sommes encore trop dans des notions de bien et de mal. Le manque de formation à la thématique des assuétudes se reflète dans la prise en charge par les autres professionnels, qui ne savent pas comment se positionner. Par conséquent, ces publics sont exclus des centres d’accueil où le cadre n’est pas adapté.»

Pour les prochaines années, l’enjeu de ces SCMR résidera dans l’étude de leurs impacts tant au niveau du consommateur de drogues que des riverains. Les porteurs du projet l’ont très bien compris et s’organisent pour assurer un travail en profondeur et en collaboration avec tout le secteur psycho-médico-social et judiciaire.

Les résultats pourront peut-être résonner au niveau du Fédéral, amenant une modification de la loi de 1921, dont les effets désastreux, notamment en matière de santé publique, sont de plus en plus alarmants.

 

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