04/09
2020
par Par Rosh Sookun, Nadège Mawamba, Elis Lokossou et Fathia Chentouf, étudiants du MIAS1 de l'IESSID, catégorie sociale de la Haute École Bruxelles Brabant (Bruxelles)

Le dispositif d’accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants, utopie ou levier d’intégration ?

Face aux enjeux posés par la crise migratoire en Europe et à la nécessaire question des modalités d’accueil de toutes ces familles qui ont eu à faire l’expérience traumatique de l’exil forcé, focus sur le dispositif prévu par le législateur pour la scolarisation des mineurs primo-arrivants, DASPA, pour Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants.

Guerres à répétition, pauvreté économique, persécutions ethno-religieuses semblent être aujourd’hui les raisons majeures qui poussent des centaines de milliers de personnes à quitter leur lieu de vie chaotique pour un parcours long et dangereux vers l’Eldorado occidental. Nos décideurs politiques européens n’ont pas d’autres choix que de chercher des réponses pertinentes aux multiples enjeux que posent ces flux migratoires massifs. L’un de ces enjeux est l’accueil et la scolarisation des mineurs primo-arrivants, obligation de scolarité encadrée par une nouvelle Circulaire 7226 de Septembre 2019 de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

Pour répondre aux besoins spécifiques de ces enfants âgés entre 5 et 18 ans arrivés en Belgique depuis moins d’un an, deux dispositifs ont été mis en œuvre dans les établissement scolaires : soit le Dispositif d’Accueil et de Scolarisation des élèves Primo-Arrivants (DASPA) que l’on connaissait  entre 2001 et 2012 sous le nom de «classes-passerelles», soit le dispositif Français Langue d’Apprentissage (FLA).

Les classes DASPA visent à assurer l’accueil, l’orientation et l’insertion de l’élève primo-arrivant dans l’enseignement ordinaire, fondamental et secondaire. Les objectifs visés par ce dispositif sont l’apprentissage intensif de la langue française et de la culture scolaire par un travail de remédiation pour que l’élève puisse retrouver le plus rapidement possible une année d’études, la plus proche possible de celle qui correspond à son âge.

Si nous ne pouvons que constater une certaine volonté affichée par les pouvoirs publics de scolariser rapidement ces enfants, comment se traduit-elle de manière concrète pour ces derniers et leurs familles ? Le dispositif DASPA est-il vraiment en phase avec la réalité de ces enfants dits primo-arrivants ?

Les papiers avant la scolarité

Il semble qu’il existe en premier lieu une forme d’inadéquation entre la temporalité institutionnelle et la temporalité de ces familles, contraintes de tout laisser derrière elles, et qui vont devoir faire face à de multiples difficultés, dans lesquelles la scolarisation n’est certainement pas la préoccupation première.

Directeur de l’EFA Prospérité, annexée à l’Athénée Royale Toots Thielemans, historiquement une des premières à proposer le dispositif DASPA aux primo-arrivants du fait de sa proximité géographique immédiate avec l’antenne FEDASIL – Petit Château, M. Robbrecht met en avant la précarité économique et affective dans laquelle se trouvent ces familles nouvellement arrivées à Bruxelles, «après un difficile exil, périple long et synonyme d’expériences traumatiques à répétitionOn peut facilement comprendre que pour ces familles, la priorité n’est pas l’école. La priorité c’est de se mettre en sécurité, de disposer d’un toit, de vêtements, de nourriture.» En plus de la satisfaction de ces besoins primaires, ces pères et mères de familles vont devoir apprendre rapidement à composer avec la machine administrative belge et le labyrinthe que cela peut représenter pout toute ces personnes que l’exil a rendues vulnérables et fragiles. Ne partageant pas notre cadre de référence, les parcours de régularisation, de logement, de recherches de ressources financières deviennent d’autant plus sources de violences institutionnelles.

C’est ce que nous livre Binta (nom d’emprunt), une mère de 50 ans arrivée depuis peu en Belgique avec ses deux enfants : «L’accueil par le personnel ce n’était pas facile, pas joyeux. Les personnes du service “Etrangers” de la commune m’ont donné un complexe. Quand je passe chez un premier opérateur, il me demande une série de documents. Le lendemain, je passe chez un autre et il me demande une autre série. (…) Dans cette phase d’arrivée et de démarches multiples, les primo-arrivants ont besoin d’un regard rassurant, humain

Son amie, elle aussi mère et exilée, insiste en disant que cette partie de l’intégration administrative est bien trop pesante et souvent incompréhensible. Pour Paulette, mère de 42 ans arrivée en Belgique il y a 5 ans avec son fils de 15 ans et sa fille de 6 ans «tout cela était nouveau pour moi et je me suis dit qu’ils savaient forcement ce qu’ils disaient car c’étaient eux les spécialistes de la question… »

Face à toutes ces difficultés d’installation et ces trop nombreuses violences institutionnelles, ces populations ne disposent souvent pas d’un tissu social suffisamment diversifié et stimulant  pour mettre à disposition de leurs jeunes un environnement propice aux apprentissages  culturels et pédagogiques. Ce qui mène à questionner la volonté du législateur que cette intégration, notamment scolaire, se fasse de la manière la plus rapide possible

Pour ces enfants au contexte familial chahuté, les indicateurs de compétences cognitives et les prérequis pédagogiques utilisés lors des tests d’évaluation et d’orientation sont souvent bien trop éloignés de la réalité de ces jeunes. Ils n’ont jamais été scolarisés, ou très peu, avant leur arrivée en Belgique, et pour un grand nombre d’entre eux ne parlent aucune des langues utilisées dans les écoles bruxelloises. Cet écart est alors trop souvent à l’origine d’orientations inadéquates en enseignement professionnel ou en spécialisé. En effet, beaucoup de ces jeunes primo-arrivants sont maintenus dans le dispositif DASPA jusqu’à 12 ans et leur passage du CEB, qui se solde pour la plupart d’entre eux par un échec et une orientation en 1ère différenciée pour seulement 27% de réussite à cet examen, taux qui tombe à 15% en fin de 2ème différenciée, synonyme d’un grand nombre de déscolarisations à la fin ce cycle de primaire et par extension de relégation scolaire et sociale.

Aller à l’école, oui mais quelle école pour les infrascolarisés ?

Pour Juliette Pirlet, co-fondatrice avec Marie Pierrard de La Petite Ecole de Bruxelles asbl (https://www.lapetiteecolebxl.be/), «l’enseignement doit revoir sa temporalité dans ce qui est prévu pour la scolarisation des primo-arrivants». Ces deux anciennes enseignantes ont fait le pari d’une nouvelle approche pour augmenter les chances de réussites de ces jeunes dans leur parcours d’intégration scolaire. Juliette Pirlet insiste sur le fait que le DASPA et sa mise en œuvre dans les établissements scolaires ne prennent pas assez en compte la dimension psychoaffective des situations de ces jeunes, qui ont dû affronter des expériences traumatiques tout au long de leur parcours de vie, dans leur pays d’origine, et tout au long du chemin de l’exil forcé, souvent long et dangereux. Elle rappelle que «ce sont des enfants qui ont côtoyé la mort de très près…», raison pour laquelle l’enseignement devrait considérer la question de la santé mentale de ces jeunes et de leurs familles comme centrale. Selon elle, difficile pour ces jeunes de s’inscrire dans les apprentissages comme le souhaiterait le législateur, quand l’appareil psychique lutte contre le trauma et ses reviviscences par des mécanismes de défense qui entre autres, impactent la mémoire, l’accès à la symbolisation ou encore la perception de soi.

C’est pourquoi les enfants accueillis à la Petite école, une vingtaine par année, pourront trouver avant tout une source de réassurance affective et une base de sécurité afin qu’ils retrouvent confiance en eux mais aussi en l’autre. Pour Juliette et Marie, offrir un espace contenant et sécurisant avec un lieu de vie et du matériel de qualité est une priorité. Par une approche du care-giving et une logique de thérapie institutionnelle, les jeunes et leurs familles sont invités à prendre une part active dans la vie de l’école. Des temps d’échanges avec ces derniers dans leurs langue d’origine, avec l’aide d’un traducteur, sont prévus pour une valorisation de leur cultures et une démarche d’ouverture et de reconnaissance culturelle réciproque. Pour amorcer les processus d’apprentissages de ces jeunes, et fortes de leur expériences d’enseignantes mais aussi de recherches théoriques entreprises pour répondre au mieux à leur besoins spécifiques, elles favorisent largement le recours aux jeux et à tout ce qui fait appel à la créativité, à l’imagination, à la rêverie, pour que « Ces enfants, trop souvent adultisés dans leur parcours de vie, puissent retrouver leur place d’enfant et l’insouciance à laquelle ils ont droit. »

Juliette reste convaincue que l’enseignement obligatoire doit repenser son approche et ses outils. A ce titre, elle exprime une vraie détermination pour participer à l’indispensable travail de remise en question des représentations institutionnelles sur les réalités auxquelles sont confrontés ces mineurs primo-arrivants. En effet, leur accueil nécessite des compétences particulières et pose ici la question de la formation et de la professionnalisation du dispositif. C’est en ce sens que Juliette et Marie, en plus de leur engagement au quotidien auprès de ces jeunes, enchainent les rencontres avec les acteurs institutionnels concernés par cette problématique, pour un partage des expertises et une ouverture du champ des possibles dans laquelle la créativité et le travail en réseau doivent, selon elles, être centraux.

Leurs engagements et l’énergie mobilisée, leur philosophie et leurs modalités de travail semblent porter leurs fruits. Juliette, avec une fierté non dissimulée, fait le constat d’un accrochage scolaire immédiat des enfants qui ont été accompagnés par la Petite Ecole lorsqu’ils sont orientés, après une année de travail, vers une école officielle et le circuit de l’enseignement ordinaire. Même si, comme elle l’explique, «pour les familles des jeunes qui sont accueillis chez nous, la Petite Ecole, c’est l’école », les jeunes expriment après cette année d’accompagnement, leur désir d’être inscrits dans une école «normale» pour être «comme les autres enfants».

Preuve supplémentaire de la pertinence de leur action, tous les appels à projets, pour lesquels la Petite Ecole a posé une candidature ont été accordés par des donateurs privés qui pallient au manque de financement public. Il y a fort à parier qu’au regard de la grande motivation et de l’implication affichées par ces deux enseignantes, et des résultats plus qu’encourageants de leur projet.

Dispositif DASPA, intégration réussie ou reproduction des violences symboliques vers la relégation sociale ?

Avec la nouvelle circulaire et l’ouverture du dispositif à l’ensemble des écoles, il faut se rappeler que les ratios d’encadrement ont changé et sont devenus un enjeu d’emploi et de recrutement pour les directions de ces établissements. Par manque de moyens, ces derniers peuvent en effet appréhender le DASPA comme une source potentielle d’enseignants supplémentaires, mais qui ne seront pas in fine exclusivement dédiés à l’accompagnement des jeunes primo-arrivants. Accueillir et scolariser ces enfants de l’exil serait-il ainsi devenu une stratégie pour augmenter les ressources humaines des établissements scolaires, au-delà des raisons pour lesquelles elles ont été mobilisées ? La question renvoie à la finalité de ce dispositif, surtout quand on sait les difficultés de nombreux établissements à disposer de moyens adaptés à l’ampleur des missions qui leur sont dévolues, que ce soit pour la scolarisation des enfants de nationalité belge ou pour celle de ces enfants de l’exil. Les élèves primo-arrivants viennent ainsi augmenter les effectifs de certaines écoles, avec une tendance à être rassemblés dans quelques établissements qui accueillent déjà un public fortement précarisé et stigmatisé. La double peine selon Juliette, «celle du traumatisme et celle du stigmate ». Ce constat nous amène ainsi à nous poser la question de la violence symbolique reproduite par l’école et de la relégation sociale qu’elle peut engendrer.

Une des manières d’y remédier serait de mettre le dispositif DASPA en perspective avec le Décret Inscriptions qui  prévoit entre autres l’obligation de scolarisation dés la 3ème maternelle. Pour M. Robbrecht, cette disposition devrait contribuer au processus de mixité sociale dans la mesure où la scolarité à cet âge n’a d’autre enjeu que la socialisation précoce de l’enfant. Moins préoccupés par les enjeux d’insertion professionnelle posés par le parcours postsecondaire, voire déjà dès la suite du primaire, les parents posent alors moins de résistances dans leurs choix d’établissements pour leurs enfants. Pour les primo-arrivants les plus jeunes, cela devrait être synonyme d’une acculturation plus rapide de nature à faciliter dans un deuxième temps leur intégration scolaire.

Pour que le droit à l’Education tel qu’il est défini dans l’article 28 de la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies de 1989 ne  soit pas juste un objectif idéalisé voire utopique, les pouvoirs publics doivent être en mesure de considérer cette question de manière globale et durable. Les parcours de vie de ces familles, les traumatismes de l’exil forcé, la difficile installation dans un pays étranger, le manque de ressources et de compréhension des codes, des règles, des instances officielles nombreuses en Belgique, la barrière linguistique sont autant d’épreuves auxquelles toutes ces familles sont confrontées et qui obligent à une réflexion partenariale entre l’ensemble des acteurs de l’action sociale et de l’enseignement.

Enfin, il est nécessaire voire primordial que les pays de l’Union européenne mais aussi tous ceux qui ont un rôle majeur sur la scène internationale aient une vraie réflexion de fond sur les raisons qui poussent ces populations à quitter leur pays d’origine depuis plusieurs générations, pour un exode long et violent vers un inconnu idéalisé, synonyme de paix, de sécurité et de liberté. Mais les enjeux historiques et actuels de l’échiquier géopolitique, la domination et l’exploitation des pays en voie de développement par les pays industrialisés, les tensions générées par la mondialisation et la concurrence économique entre ces derniers, l’instabilité politique quasi-permanente de certains pays du Moyen-Orient, les guerres qui se succèdent dans des boucles de rétroaction, la lutte contre le terrorisme, et les effets du réchauffement climatique sont autant d’éléments qui nous poussent à croire que la crise migratoire restera pour longtemps encore un défi majeur.

 

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