19/12
2021
par Mario, Malika, Miguel, Mohammed, Marinette, Manon, Marie-Eve

Liège : consommer en sécurité

Depuis septembre 2018, la salle de consommation de Liège permet aux consommateurs de drogues illégales de venir y consommer leurs produits en toute sécurité. Réduire les risques en matière de santé, être à l’abri des agressions, mais aussi de la police, et avoir accès à un personnel social et médical non jugeant : tels sont les bénéfices du projet pour ces usagers de drogues précarisés. Visite guidée.

Dans le centre de Liège, la salle de consommation a pris ses quartiers dans des conteneurs qui s’emboîtent comme dans un jeu Tetris. Elle jouxte le commissariat de police. Un voisin un peu surprenant, avec lequel un périmètre de tolérance autour de la salle a été négocié, un espace à part au sein duquel la détention de petites quantités de drogues illégales n’est pas pénalisée.

ACCÈS

Pour accéder à la salle, il faut juste « sonner à la porte », avoir 18 ans et ne pas être primo-consommateur. Mis à part ces restrictions, le lieu est ouvert à tous de manière anonyme. On y compte en moyenne 60 à 70 passages par jour d’usagers de drogues venant principalement de Liège et du Grand Liège. Ces consommateurs peuvent y venir plusieurs fois par jour – cinq, six, sept fois s’ils le souhaitent : «On part du principe qu’on ne va pas forcé- ment réduire le nombre de leurs consommations. On préfère qu’ils viennent ici plutôt que d’aller faire ça n’importe où avec du matériel qui n’est pas propre… » explique Marylène Tommaso, l’infirmière en chef. «La seule restriction que l’on pourrait avoir, c’est que, si on se rend compte qu’un usager est dans un état clinique un peu perturbé, on va peut-être refuser la consommation ou en tout cas lui demander de l’adapter. Parce qu’un des premiers objectifs de la salle, c’est de veiller à la consommation en toute sécurité », ajoute un travailleur social.

ACCUEIL

Mesures Covid obligent, à l’entrée, c’est lavage de main et prise de température pour tout le monde. L’usager range son sac et sa veste dans un casier. Sur lui, il ne garde que le strict nécessaire : son produit et son briquet.

Il répond ensuite à un bref questionnaire (avez-vous un médecin ? avez- vous un logement ? prenez-vous de la méthadone ?) qui permet de faire le point sur sa situation et d’analyser sa demande. Une première évaluation clinique a également lieu : « On regarde par exemple si les gens n’ont pas trop bu. Cela ne va pas leur interdire l’accès à la salle, mais nous on va savoir dans quel état ils sont. On leur demande aussi de montrer leur produit pour éviter toute forme de deal dans les locaux, et de nous dire comment ils veulent le consommer. »

« Si vous poussez sur la sonnette, c’est que vous cherchez la sécurité et l’hygiène. »

LES RÈGLES À RESPECTER

À son inscription, l’usager lit et signe un règlement d’ordre intérieur et une « échelle de sanctions ». « Le deal, les dépannes, le grattage ou encore la violence, ce n’est même pas pensable. Mais ça se passe globalement vraiment bien. Il n’y a jamais eu d’incident grave… »

COMPTOIR D’ÉCHANGE

«C’est un système d’échange : si l’usager ramène cent seringues, on lui en donne cent. S’il en a zéro, alors on lui donne une dépanne : deux seringues et deux ‘casseroles’ (récipient stérile pour préparer son produit avant l’injection, NDLR). Ici, c’est ‘la complète’ : casserole, coton et coton pour s’essuyer après. C’est pour l’extérieur. À l’intérieur de la salle, on donne juste la casserole avec un filtre, qui est beaucoup plus grand, plus cher à l’achat, mais filtre beaucoup mieux. Ici, vous avez les filtres, l’acide ascorbique pour l’héroïne et l’eau stérile. »

BUREAUX DE CONSULTATION SOCIALE ET MÉDICALE

L’équipe de la salle compte six infirmiers, quatre éducateurs et trois médecins, ces derniers venant chaque semaine pour une consultation chacun. Des démarches sociales sont réalisées («On essaye de les remettre en ordre de mutuelle, à la banque ou pour leur carte d’identité »), un petit stock de vêtements est prévu pour dépanner et des permanences logement ont lieu chaque semaine. Côté médical, on soigne les pieds abîmés, les plaies – notamment les abcès – et tout type de blessures. «On a des protocoles de soins qui nous permettent d’administrer des médicaments. Parfois, il faut agir rapidement. ll y a en effet parfois des urgences médicales – overdoses, urgences liées aux abcès ou à la tuberculose. » « On peut aller loin dans la prise en charge médicale, mais il arrive qu’on doive les accompagner à l’hôpital. On y va avec eux, car on a constaté que l’accueil y est différent que quand ils arrivent seuls… » Pas de dentiste qui passe par ici, mais un relais est mis en place vers trois professionnels liégeois qui font le tiers payant (mécanisme qui permet au patient de ne payer que les frais à sa charge, sans devoir avancer le montant qui incombe à l’assurance en soins de santé). En revanche, des examens gynécologiques peuvent être réalisés. « On a parfois des femmes enceintes. Ce n’est pas un motif d’exclusion, que du contraire. On préfère qu’elles viennent près de nous. »

SALLE D’INJECTION

Derrière des panneaux vitrés, une petite salle aseptisée avec quatre tables. En période Covid, quatre personnes y accèdent en même temps (contre huit auparavant). Chacune a reçu son matériel sur un plateau, mais a aussi son propre garrot. « On leur donne, mais il reste ici. Quand ils sont trop sales, on les remplace. » Des éviers et des brosses sont aussi disponibles pour se laver les mains ou d’autres parties du corps. « On peut faire tremper le membre dans de l’eau chaude, ça fait gonfler la veine, ça rend les choses plus faciles pour repérer le réseau veineux quand il est fort abîmé. »

Un infirmier est toujours présent dans la salle. «On y fonctionne par tranche de deux heures trente. C’est sans doute le poste le plus stressant parce l’endroit est exigu, qu’il faut maintenir un cadre, gérer des personnes qui sont consommatrices d’héroïne et de cocaïne, ce ne sont pas du tout les mêmes personnalités. Il faut être attentif à tout. Il faut dispenser des conseils d’éducation à la santé : pourquoi on met un garrot, pourquoi on se lave les mains. L’aiguille, on va plutôt la mettre comme

ceci ou comme cela. Des sites d’injection sont préconisés, surtout les avant-bras. Mais un injecteur de cocaïne qui vient quatre, cinq fois par jour, il est obligé de s’injecter dans d’autres parties du corps. Parfois, on les incite à changer de mode de consommation parce que le réseau veineux est complètement saturé. Mais bon, on n’est pas là non plus les yeux rivés sur le bras. On discute, on parle de choses et d’autres… » Le temps prévu pour une injection est d’une demi-heure, au bout de laquelle le consommateur désinfecte son plateau, sa table et sa chaise.

Des paravents sont disponibles pour être plus à l’aise, mais il y a peu de place ici pour l’intimité. «Si vous poussez sur la sonnette, c’est que vous cher- chez la sécurité et l’hygiène. L’infirmier n’est pas là pour avoir un rôle de voyeur. Mais certains s’injectent vraiment mal… Évidemment, cela ne va pas convenir à tout le monde. Pour un usager, l’injection n’est pas facile à montrer. Et pour nous non plus, au début, ce n’est pas facile à voir. Il faut dépasser ça des deux côtés… »

ESPACE D’INHALATION

Les fumeurs d’héroïne ont reçu à l’entrée une enveloppe avec un alu, du papier et une paille. Ceux qui fument de la cocaïne reçoivent aussi leur matériel et achètent des pipes à crack pour un euro. Pour fumer, ils s’installent dans des box – 12 places, réduites à 6 avec le Covid – où ils peuvent rester une vingtaine de minutes.

L’AVENIR DE LA SALLE

Ici, pas vraiment de lieu de détente ou de repos. L’espace est exigu et la capacité des équipes, limitée. La priorité, c’est donc de réduire les risques sanitaires. Mais Marylène Tommaso se laisse aller à rêver à un autre avenir : «Avoir une structure beaucoup plus grande, qui ouvre 24 h/24 avec un hébergement, un effectif doublé pour pouvoir prévoir certaines activités, notamment socioculturelles, de réhabilitation. La salle de consommation pourrait aussi être la ‘salle d’attente’ pour des usagers qui pourraient correspondre au projet Tadam (projet pilote de délivrance d’héroïne médicalisée – diacétylmorphine – qui a occupé précédemment les mêmes locaux, mais qui est à l’arrêt faute de soutien des pouvoirs publics, NDLR). Avec ce projet, en six semaines, on voyait les usagers se métamorphoser. J’espère que Tadam va pouvoir reprendre, mais aussi qu’on aura un statut légal pour la salle de consommation. » (En Belgique, les salles de consommation n’ont toujours pas de cadre légal. Celui-ci nécessiterait une révision de la loi « drogues » de 1921, NDLR.)

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