10/10
2013
par la rédaction

Mathias El Berhoumi, l’ex de la FEF fait alliance avec la réforme

Toute réforme implique au préalable des négociations et des consultations au sein des instances politiques, entre ces politiques mais également ses acteurs et les institutions concernées. Lors des phases de consultations interviennent des conseils issus de différents cabinets ministériels. Mathias El Berhoumi en fait partie. Ayant été Président de la Fédération des étudiants francophones (FEF), il semble intéressant de déterminer si les idéaux défendus lors de ses mandats et de son implication à la FEF sont restés les mêmes et continuent à guider son action. En d’autres termes, son entrée en politique a-t-elle influé sur sa vision de l’enseignement supérieur ? Actuellement enseignant de droit à l’Université Saint-Louis, il est également conseiller politique du ministre Jean-Marc Nollet (Ecolo, vice-président du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles). En tant que son conseiller politique, il est chargé des dossiers tels que l’enseignement obligatoire, enseignement supérieur et la recherche scientifique.

 

Interview réalisée par des étudiants du MIAS1 de l’IESSID, catégorie sociale de la HE Paul-Henri Spaak.

 

Alter Échos : Mathias El Berhoumi, conseiller ministériel, l’ex de la FEF fait alliance avec la réforme AE – Pouvez-vous définir le rôle d’un conseiller politique?

Mathias El Berhoumi : Dans un cabinet ministériel, il y a deux formes de conseillers politiques : ceux qui travaillent sur une ou plusieurs matières de compétence du ministre et ceux qui travaillent sur les compétences des autres ministres. Ces derniers sont également connus sous l’appellation de «belles-mères». La logique d’un gouvernement est que les décisions soient adoptées par l’ensemble des ministres. Pour ce faire, avant toute décision se tiennent des inter-cabinets réunissant ces deux formes de conseillers. En ce qui me concerne, je joue le rôle de belle-mère car les matières que je traite ne sont pas des compétences du ministre Nollet.

Fidélité négociée

Alter Échos : Comment conciliez-vous votre profession de professeur de droit à l’université avec celle de conseiller politique? Comment gérez-vous les frustrations inhérentes à votre fonction de conseiller politique?

Mathias El Berhoumi : J’arrive aisément à concilier les deux, d’autant plus que chacune me procure une certaine satisfaction et un équilibre. En effet, l’enseignement me permet de ne pas m’investir à cent pour cent en politique et donc de pouvoir garder une liberté d’expression et un regard critique sur la politique. A travers les cours de droit, il m’arrive de donner des exemples critiquant l’ensemble des partis politiques, y compris Ecolo. La seule limite que je me fixe est de ne pas critiquer une décision prise par mon Ministre.

J’exerce également ce regard critique à travers les travaux de recherche, interviews et articles que je rédige notamment dans le cadre de ma profession d’enseignant. Sur le plan de l’équilibre, en tant que professeur, j’ai des délais plus longs pour effectuer mes recherches ou écrire des articles alors que dans un cabinet ministériel, on travaille constamment dans l’urgence.

S’il fallait parler de frustration, je pense que dû à l’expérience acquise à la tête de la FEF, j’ai tendance à avoir des positions bien précises sur des dossiers relatifs à l’enseignement supérieur. Cette expérience m’a également préparé aux contraintes du monde politique et je savais à quoi m’attendre en y entrant. C’est la raison pour laquelle, en ma qualité de conseiller, je sais que la dernière décision revient toujours au Ministre.

Alter Échos : En parlant de la FEF, on peut se demander ce qui justifie le passage visiblement aisé et fréquent des membres de ce mouvement vers le monde politique. Faut-il être pistonné surtout lorsque l’on voit la liste des hommes et femmes politiques issus de ce mouvement tel que votre ministre Jean-Marc Nollet ? Mais également Grégor Chapelle (PS), François Scheuer (VEGA), Emily Hoyos (Ecolo) et la liste est longue.

Mathias El Berhoumi : Les attentes et idées que je me faisais en rejoignant le monde politique étaient de continuer à militer, à agir dans un autre cadre pour réaliser et assurer le suivi des revendications estudiantines. Même si l’entrée dans les cabinets est favorisée par les contacts établis durant l’engagement au sein de la FEF, cela ne devrait pas être pris au même titre que ceux qui bénéficient de pistons grâce aux parents car chacun de nous a pu faire ses preuves. Cependant, je ne pense pas qu’il faille adhérer à la FEF en espérant faire carrière en politique par après. Il est vrai que certains étudiants impliqués dans la FEF sont affiliés à des partis politiques mais cela n’influe en aucun cas sur leur investissement au sein du mouvement. Par contre, je trouve pernicieux que l’appartenance à un parti politique soit mise en évidence et utilisée à des fins de propagande par un membre de la FEF.

Alter Échos : Le fait d’avoir occupé la fonction de président de la FEF vous aide-t-il dans votre fonction politique actuelle ?

Mathias El Berhoumi : Oui, absolument, dans la mesure où cela m’a aidé à forger une vision et un horizon politiques. Mon parcours au sein de la FEF me permet d’avoir un vécu sur les matières liées à l’enseignement supérieur. Ce qui, à mon sens, est primordial. Il est essentiel en politique d’avoir été acteur des sujets sur lesquels on travaille et c’est ce que la FEF m’a apporté. Je ne vois pas les choses de l’extérieur. Toutefois, j’ai pu forger avec d’autres des revendications et une vision politique des changements à apporter dans l’enseignement supérieur. Ceci est mon idée du parcours à avoir en politique. S’il m’était demandé d’être conseiller en agriculture ou mobilité, par exemple, je refuserais car je n’ai pas l’impression d’avoir quelque chose à apporter dans ces domaines que je connais peu. Je suis fort critique des politiques qui se font dans un cadre fermé. J’entends par là des discussions entre hommes politiques et/ou professionnels qui n’ont plus de regard extérieur. Je suis particulièrement satisfait d’être dans ce parti et d’avoir ma fonction de professeur à côté.

Alter Échos : Vos convictions ont-elles évolué depuis votre entrée en politique ? Quel regard portez-vous sur les revendications estudiantines ? Ce regard a-t-il évolué ? Quel rôle avez-vous joué dans l’aboutissement de ces revendications ?

Mathias El Berhoumi : Je me suis rendu compte que la plupart des revendications que portaient les étudiants étaient tout à fait réalisables. Cependant, ce qui bloque généralement c’est, d’une part, la méconnaissance, par ces étudiants, du calendrier politique qui poursuit généralement d’autres priorités, et d’autre part, la non-maitrise des financements particuliers ou supplémentaires, nécessaires à la mise en oeuvre de leurs propositions. Pour le reste, j’ai contribué, avec d’autres, à faire en sorte que les droits des étudiants augmentent, ce qui est le cas encore aujourd’hui, en bonne intelligence avec les actions de la FEF.

En entrant en politique, je craignais de remettre en question les revendications portées par la FEF. Avec le recul, je suis d’autant plus convaincu que les revendications des étudiants sont légitimes et réalistes. Je pense, tout comme la FEF, que des choix politiques doivent être faits. Évidemment de l’autre côté, j’ai pu me rendre compte que l’enseignement supérieur ne se limitait pas uniquement aux droits des étudiants. Cela concerne un public bien plus large tel que le personnel administratif, les chercheurs, les enseignants et les institutions en elles-mêmes.

Alter Échos : Le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté récemment le projet de décret définissant le paysage de l’enseignement supérieur. Quelles sont les grandes lignes de ce décret ? Quel rôle y avez-vous joué en tant que conseiller ?

Mathias El Berhoumi : Ce décret aborde deux volets. Le premier est lié au paysage de l’enseignement supérieur et le deuxième à l’organisation des études.

Mon rôle a notamment consisté à représenter le ministre lors des inter-cabinets qui se sont plus penchés sur le deuxième volet de la réforme. Le premier volet, quant à lui, a été abordé directement par les ministres.

J’ai été tout particulièrement attentif à l’organisation des études, qui comportait des risques de régression des droits des étudiants. J’ai également contribué à l’amélioration du texte par le biais de mes observations et mes propositions. Comme exemple, je citerais que dans la version initiale du projet, les écoles avaient la possibilité de refuser des inscriptions si elles n’avaient plus de places disponibles. Ces refus n’étant pas balisés, la proposition a été fort critiquée par la FEF et a finalement été retirée du projet. Un autre exemple de mes observations a été d’instaurer les délais de remise des copies et résultats d’examen. Dans l’ensemble, tant à mon niveau qu’au niveau de la FEF, on a pu constater que le projet contribue à une amélioration et une harmonisation des règles relatives au statut de l’étudiant. Une autre proposition qui a été retenue est de faire passer le plafond de réussite de douze à dix sur vingt.

 

Alter Échos : Nous avons, en effet, suivi cette proposition et avons pu constater qu’une pétition a été lancée ce mois de novembre afin de maintenir ce plafond à douze sur vingt. Peut-on affirmer que cette proposition rejoint la majorité de l’opinion estudiantine ? Ne risque-t-elle pas de contribuer à une diminution de la qualité de l’enseignement supérieur ?

Mathias El Berhoumi : Primo, il est encore difficile d’en tirer de quelconques conclusions car nul ne connaît l’identité ni de l’initiateur(trice), ni des signataires de la pétition.

Secundo, je tiens à préciser que quels que soient les projets que j’envisage, j’entretiens toujours un dialogue avec la FEF. Quand il y a des réformes à mettre en place, j’essaye de voir avec eux ce qui leur convient, ce qui est envisageable et on réfléchit ensemble à des solutions alternatives. De cette manière, avant de proposer quoi que ce soit au ministre, j’exerce une sorte de test auprès de la FEF. Il s’agit là d’un travail informel grâce auquel les réformes sont acceptées de tous et moins remises en question lors des rencontres et discussions formelles.

Le problème majeur au sein de la Fédération Wallonie-Bruxelles est le taux d’échec particulièrement élevé dans l’enseignement supérieur qui a pour conséquence un taux de diplomation en stagnation. La cause, à mon sens, reste le manque de financement. En effet, l’on dénombre de plus en plus d’étudiants mais le nombre d’enseignants n’augmente pas. En bref, les dispositifs mis en place ne sont pas suffisants pour faire réussir les étudiants. Fort heureusement, un décret relatif au financement devrait être publié d’ici le début de l’année académique 2014-2015 (ndlr et faire l’objet d’une concertation comme le décret paysage, comme l’a confirmé le ministre Marcourt (PS)).

Le poids de l’engagement

Alter Échos : A vous écouter, la réforme semble être passée comme une lettre à la poste. Pouvez-vous nous décrire, brièvement, la méthode de travail mise en place et préciser si un point particulier a posé problème ?

Mathias El Berhoumi : La méthodologie a consisté à aborder différentes thématiques via des tables-rondes qui regroupaient tous les acteurs du terrain. Il y a eu de vifs débats sur l’harmonisation du statut du personnel, le financement ainsi que le paysage de l’enseignement supérieur. Sur ce dernier point, des divergences importantes sont apparues, notamment sur le nombre et la répartition des pôles.

Alter Échos : Sur ce point de divergence, l’UCL est souvent montée au créneau. Exprimait-elle les inquiétudes d’une majorité de participants ? Est-ce une bonne chose que les pouvoirs publics conduisent les rapprochements des établissements supérieurs ?

Mathias El Berhoumi : La position de l’UCL était minoritaire, ce qui explique d’ailleurs qu’elle se soit retrouvée isolée et que les autres institutions aient défendu ces rapprochements. Les divergences étaient plus axées sur les modalités. Un point a focalisé les discussions : les rapprochements en vue des formations de type long dispensées par certaines hautes écoles à Bruxelles. Quelle institution universitaire accueillera les institutions qui les dispensent ? La question en elle-même dénote déjà de la concurrence qui existera entre l’UCL, l’ULB et Saint-Louis sur Bruxelles et explique les tensions survenues durant les débats.

Ces tensions ont, également, rappelé l’existence et la force des piliers dans notre pays. En effet, même si l’UCL paraissait isolée, le fait qu’elle se soit opposée à cette partie de la réforme a eu pour effet qu’il a fallu que le gouvernement (au sein duquel les tensions, opposant les piliers catholiques et socialistes sont également apparues) trouve une solution afin qu’aucun des piliers ne se sente lésé. Il s’agit là d’une particularité de la Belgique qui ne fonctionne pas dans une logique de majorité/minorité. Dans les médias, ces piliers sont présents et se manifestent lorsque les questions religieuse et philosophique sont « menacées » comme pour ce projet de décret. Ce qui explique le large écho qu’ont eu les positions de l’UCL.

Alter Échos : Peut-on tirer, comme conclusion, qu’il s’agit d’une bonne réforme ?

Mathias El Berhoumi : Il est très difficile d’évaluer cette réforme à partir du moment où elle n’existe que sur papier. Il est impossible, à ce jour, de savoir quels impacts auront les organes créés.

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