Thierry Jacques à propos du MOC : dépilaristaion et indépendance
Aujourd’hui secrétaire fédéral à la CSC Namur–Dinant, Thierry Jacques a été pendant près de huit ans président du Mouvement Ouvrier Chrétien. C’est sur cette fonction exclusivement que nous l’avons interrogé. Il détaille la façon dont le MOC entretient des relations avec les partis, influe sur la prise de décision politique, mais reste plus vague sur la façon dont le débat démocratique est organisé en interne.
Interview réalisée par des étudiants du MIAS1 de l’IESSID, catégorie sociale de la HE Paul-Henri Spaak.
De la réalité sociale à la sphère politique
Alter Échos : Comment se crée une revendication au sein du MOC, et comment devient-elle une question sociale ? Une fois la question sociale mise sur la table, la revendication construite, quels canaux utilise le MOC pour la porter à un niveau politique ?
Thierry Jacques : Les questions sociales traitées par le MOC viennent, à la base, des organisations constitutives du mouvement. Au cours d’un long travail d’éducation permanente avec leurs groupes, les organisations font émerger des problématiques auxquelles leurs membres sont confrontés. Elles réalisent avec eux un travail d’analyse, pour enfin émettre des propositions politiques qui visent le changement de ce problème. Ces propositions sont ensuite amenées au sein des hautes instances du MOC, et c’est à ce moment qu’est prise la décision d’entrer ou non dans un processus politique. Ensuite, le MOC va chercher des alliances dans la société civile, car il peut rarement avancer une revendication seul. Il va ensuite interpeller les politiques sur ces revendications. Cela peut prendre différentes formes : directement au ministre, des parlementaires des partis auprès desquels il peut se faire entendre (CDH, Ecolo et PS), ou auprès des cabinets ministériels. Par ce derniers biais, les revendications peuvent être traitées de façon plus pertinente que par le ministre lui-même. En effet, les »experts » politiques sont axés sur la matière qu’ils sont habilités à gérer, contrairement aux ministres qui peuvent être occupés par d’autres priorités, d’autres sujets.
Alter Échos : La sphère politique les entend-elle ? En tient-elle compte ? Quelles stratégies sont utilisées ?
Thierry Jacques : C’est difficile de répondre à cette question car cela est très variable, nous sommes dans un pays qui fonctionne par compromis, dans un système de « donnant donnant ». En Belgique, il y a des coalitions, des alliances conclues entre partis qui ont parfois des projets très différents. Durant le gouvernement Verhofstadt, en période de croissance, il y a eu une distribution du »pactole » aux différents partis, tant aux socialistes qu’aux libéraux, pour faire plaisir à tout le monde. Nous sommes donc face à quelque chose d’incohérent, car nous obtenons le maintien de la sécurité sociale d’un côté, mais en échange, la droite obtient d’autres choses (NDLR : prioritairement des réformes fiscales) qui sont totalement en désaccord avec les revendications du MOC.
Nous pouvons également observer un phénomène de restructuration progressive des revendications. Si nous prenons l’exemple de la tarification progressive de l’électricité et du gaz, qui est une mesure sociale et environnementale efficace retenue dans le cadre de l’Olivier, il a été très difficile de se mettre d’accord sur une proposition de texte. Chacun a voulu y apporter son point de vue, et au final le risque est grand d’arriver à un résultat qui ne soit pas praticable, qui soit bien loin de la demande initiale et qui n’aboutisse pas avant la fin de la législature. La revendication est donc claire à la base, mais le projet final en devient une invention complexe et peu efficace. De plus, les citoyens ne comprennent plus et n’y croient plus.
Par contre, si l’on prend l’exemple du logement, des résultats positifs ont été obtenus. En effet, des sanctions sont maintenant données aux communes qui s’autorisent à »envoyer » les pauvres dans les communes voisines pour ne pas créer de logements sociaux.
Alter Échos : En interne, comment garantir le débat démocratique entre les organisations constitutives, au vu des différences de taille et de notoriété de celles-ci, en prenant en compte le fait que Vie Féminine ait moins de poids dans la société que les mutualités chrétiennes par exemple ? Comment faire en sorte qu’une organisation plus forte n’impose pas son point de vue ?
Thierry Jacques : C’est le rôle du MOC de garantir que chaque organisation ait le même droit de parole, qu’elle soit moyenne ou grande. Le travail de recherche de solutions communes est évidemment beaucoup plus intéressant que si chacun reste sur sa conception des choses. C’est une réelle richesse d’avoir des éléments d’appréciation de groupes de femmes, de mutualistes, de jeunes, etc. Le travail pluraliste permet un débat plus complet et complexe.
Piliers et partis
Alter Échos : Concernant le rôle de concertation des piliers de la société belge dans la prise de décision, comment se passent les liens avec le CDH, mais aussi avec le parti écolo et le PS ?
Thierry Jacques : Depuis les années septante, nous sommes dans un pluralisme politique assumé. Le MOC est bien un contre-pouvoir qui traite de questions politiques dans la société civile. Comme contre-pouvoir, et pour faire aboutir ses revendications, le MOC discute et entretient des relations privilégiées avec le PS, Ecolo et le CDH avec lesquels il peut avoir des visions communes et qui peuvent, avec lui, faire avancer les choses. Il peut aussi, à l’occasion, inviter le MR, au moment des élections par exemple, même si c’est un parti qui ne s’intéresse pas nécessairement aux sujets portés par le mouvement. Le MOC a aussi des contacts avec de plus petits partis, comme le FDF. En somme, il n’est redevable vis-à-vis d’aucun parti, mais il l’est vis-à-vis de ses organisations.
Alter Échos : En comparaison avec l’ACW, le MOC est aujourd’hui détaché de tout parti. Quels sont les avantages et inconvénients de cette situation ? Estimez vous, par exemple, que la communication en est devenue plus difficile ?
Thierry Jacques : La situation n’est pas la même en Flandre qu’en Wallonie ou à Bruxelles. Le CVP était puissant et omniprésent en Flandre, ce qui n’était pas le cas en Wallonie ou à Bruxelles. L’ACW est resté lié au CVP parce que, s’il avait coupé les ponts, il risquait de se retrouver dans une situation de relative insignifiance et inefficacité. De plus, la pilarisation est plus forte en Flandre, et, sur certaines questions, l’ACW aurait du mal à trouver un autre relais politique.
Pour le MOC, en termes de communication bien sûr, le chemin est plus long mais nous ne sommes plus dans le même contexte. Malgré la dépiliarisation, les partis sont restés fortement pilarisés : le MR est resté le parti des indépendants, des classes supérieures et des détenteurs du capital, le PS est resté le parti qui se veut défenseur des organisations telle que la FGTB, le CDH des institutions catholiques, etc. Pour le MOC, la dépilarisation de la société offre un côté extrêmement positif car elle a permis de clarifier son rapport aux politiques et d’éviter les confusions : le MOC est un contre-pouvoir et non pas un parti. De l’autre côté, cela rend certains aspects plus difficiles. Par exemple, lorsque le MOC s’adresse au PS, ce dernier va parfois lui répondre d’aller consulter le CDH. C’est donc à la fois plus clair et plus difficile.
Alter Échos : Au vu de l’évolution de la pilarisation, comment se reconnaissent encore les militants/adhérents dans l’appellation « Mouvement Ouvrier Chrétien » ?
Thierry Jacques : Cela n’est pas perçu comme un problème et ne fait pas débat dans le mouvement. Il y a bien quelques interpellations, mais pas de réelle remise en question. Il y a cependant une perception extérieure erronée qui tend à penser que lorsque l’on est catholique, c’est au MOC que l’on va, et pas ailleurs. Cela n’est pas lié à la confession catholique mais bien au mouvement citoyen, à l’émancipation individuelle et à une philosophie incarnée par le symbolisme chrétien. Il y a une reconnaissance du rôle de l’État mais le MOC s’appuie sur une démocratie participative et associative, pas uniquement délibérative. Cela fait partie des valeurs chrétiennes. Concernant l’appellation »Mouvement Ouvrier », certains tiennent à ce qu’elle rappelle d’un point de vue historique et symbolique. C’est le monde du travail finalement. A terme, le MOC risque d’abandonner ces terminologies. Ce serait perçu comme un risque pour ma génération, mais nous devons nous questionner sur les nouvelles générations.
La réforme et ses dérives
Alter Échos : Qu’est-ce que l’on peut tirer de la réforme sur l’éducation permanente? Cela a-t-il réellement fonctionné ?
Thierry Jacques : Le décret était bon, voir très bon. Cependant, une série de manquements dans la mise en pratique l’ont fait dévier. L’évaluation des dossiers des organisations s’est faite par des services qui n’étaient pas habilités à le faire. Certaines organisations se sont ruées dans des ouvertures qui n’étaient pas directement liées à la démarche de base d’éducation permanente, mais plutôt à des démarches de service, de communication, etc. Ces organisations font des démarches utiles mais cela a édulcoré et affaibli l’éducation permanente. Globalement cela a bien fonctionné, mais les dérives vont continuer de plus belle et ça va devenir de plus en plus compliqué.
Alter Échos : Pour conclure, quel est votre avis sur l’impact d’une organisation telle que le MOC sur la prise de décision politique ?
Thierry Jacques : Pour conclure, je dirais que le MOC a un impact qui est loin d’être négligeable. En 1999 par exemple, le MOC s’est associé à une série d’organisations pour la régularisation de sans papiers, les résultats ont été très positifs. Le MOC et ses organisations ont donc la capacité d’influer sur les décisions prises mais il faut reconnaître que cet impact est insuffisant. Il y a de nombreuses raisons qui expliquent cela : la société a changé, les rapports de force ne sont plus les mêmes, etc. Même si le MOC se fait entendre, il n’est pas suffisamment écouté.