06/03
2018
par Fadoua KADI, Mélissa NOEL, Tshiana Maureen BONGONGU, Hassan AHMAIDOUCH, étudiants du MIAS1 de l'IESSID, catégorie sociale de la Haute École Bruxelles Brabant (Bruxelles)

«Un redoublement pour un meilleur enseignement… l’escroquerie du siècle»

Chère Belgique, nous sommes fiers de toi. Non seulement tu serais championne de l’inégalité scolaire, mais tu te distinguerais par ton titre de championne du monde du redoublement, avec un élève sur deux en retard scolaire à l’âge de 15 ans. Tes résultats sont d’ailleurs plus médiocres en Fédération Wallonie-Bruxelles et il est grand temps d’être reconnaissant vis-à-vis de tes voisins du nord et de l’est, les Communautés flamande et germanophone, qui sont bien moins performantes. Malgré les multiples réformes en Fédération Wallonie-Bruxelles que tu mets en place, tu ne te laisses point détrôner, dans la dernière enquête PISA, force est de constater ton mauvais classement. L’avenir passerait-il par le Pacte pour un enseignement d’Excellence ?

Placer la barre

D’après les résultats de l’étude PISA[1] publié en 2015, la Fédération Wallonie-Bruxelles se trouve en dessous du seuil de l’OCDE et laisse en moyenne une vingtaine de places d’écart avec la Communauté flamande. PISA est un ensemble d’études mené par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) afin d’améliorer le système éducatif et d’éclairer les politiques et les pratiques dans le domaine de l’éducation. L’enquête PISA est organisée tous les trois ans et soumet des élèves de 15 ans à des tests divers afin d’évaluer leur bagage dans trois domaines différents : la culture scientifique, les connaissances en mathématique et la compréhension de l’écrit.

Sur la base d’un benchmark fixé par l’OCDE à 493, les différents pays participants sont classés et ceux dont le résultat est inférieur à ce seuil sont considérés comme inégalitaires. Se référant à cette valeur, le PISA de 2015 relève que la Belgique occupe, avec un score moyen de 502, la 19ème position sur les 72 pays que compte l’OCDE.

Mince, je, Belgique, ne suis pas si inégalitaire que cela…

Faux ! En analysant de plus près les chiffres[2], nous constatons que les inégalités dans le système éducatif entre les Communautés sont flagrantes et interpellantes au sein des différents établissements scolaires :

À travers notre recherche affinée et l’analyse des résultats, il est clair que la moyenne de la Belgique est rehaussée par les bons résultats des Communautés flamande et germanophone.

 

Sciences Lecture Mathématiques
C. flamande 515 – 6e place 511 – 8e place 512 – 3e place
C. germanophone 505 – 14e place 501 – 15e place 502 – 14e place
Moyenne de l’OCDE 493 – 24e place 493 – 23e place 490 – 24e place
F. Wallonie Bruxelles 485 – 28e place 483 – 29e place 499 – 26e place

 

Francophones, les écoliers médiocres de la classe ?

D’après une étude menée par l’Université Catholique de Louvain, le réel problème résiderait dans la grande différence au niveau du financement accordé à l’enseignement par les différentes entités fédérées du pays. La Communauté flamande accorderait, en effet, bien plus de moyens à l’éducation que son voisin francophone.

L’éducation est une compétence exercée par la Communauté flamande, la Fédération Wallonie-Bruxelles et la Communauté germanophone. Le réseau officiel est organisé par les Communautés et le réseau libre est organisé par des associations de droit privé. Ces différentes organisations de l’enseignement sont marquées par un système de filières précoce à 14-16 ans (général-professionnel-technique) qui contribuent à renforcer les inégalités préexistantes au sein de nos établissements scolaires. La ségrégation entre écoles, la prise en charge « douteuse[3] » des élèves issus de l’immigration, le redoublement, la gouvernance des établissements, etc. sont autant de causes qui pourraient être mises en évidence pour expliquer cette différence entre Communautés.

 

Le redoublement fait système

Un exemple significatif est celui du redoublement, cette pratique à la mode, ce procédé en vogue pour une meilleure assimilation de la matière et des connaissances. Championne en échec scolaire, la Communauté française applique une certaine méritocratie en permettant cette pratique dès la troisième maternelle. Et il est dommage de constater que les victimes de ce procédé soient des élèves issus de l’immigration, de situation socioéconomique défavorisée et de quartiers populaires. Quelle triste réalité ! D’après le rapport d’expertise commandité par le groupe parlementaire du Parti socialiste en 2014, le redoublement reste un procédé bien ancré dans le système éducatif malgré son inefficacité.

 

Comment cette pratique aussi dépassée peut-elle perdurer ?

La diffusion des croyances du bienfait de cette pratique par les politiques publiques, les enseignants et certains parents permet le maintien de ce procédé. Il est regrettable de constater que le redoublement soit défendu durant les formations des enseignants en Fédération Wallonie-Bruxelles.

En effet, contrairement à son voisin français, l’enseignant francophone est confronté dès sa première année de formation à « cette conception maturationniste du développement » disant que la répétition d’une année permet une meilleure assimilation de la matière chez un élève.

 

Doubler, c’est chouette !

Hormis l’pportunité quil représente pour les organismes privés de coaching et de soutien scolaire, tels que « Learnup » et « Eduloisirs », le redoublement ne profite à personne et surtout pas à l’élève. Ce dernier construit une image négative de lui-même et a tendance à avoir peu d’ambition professionnelle ou scolaire. L’échec ne reste pas une erreur de parcours, mais touche à l’essence même du jeune. En outre, c’est un coût qui pèse dans la balance budgétaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles, entre 2 800 € et 6 600 € par élève dans l’enseignement obligatoire.

 

Le Pacte d’Excellence : remède ou nouveau soin palliatif ?

Face à cette problématique impliquant un grand nombre d’acteurs, toutes les réformes proposées semblent être des soins palliatifs et non des changements en profondeur au sein de l’enseignement.

Le Pacte a comme prétention de vouloir réduire le redoublement, d’assurer la maîtrise de la langue d’apprentissage par les élèves ou encore de renforcer le leadership des directeurs. Cependant, nous sommes en droit de nous questionner à propos de son impact. Écarter le redoublement au moyen d’un tronc commun afin d’améliorer le niveau des élèves est-il vraiment pertinent ?

Selon le sociologue Stefano Guida, la question des inégalités scolaires doit être abordée d’une manière plus systémique. Pour cet expert, l’école est le reflet de l’équilibre ou du déséquilibre de la société. L’école n’est pas hors-sol c’est-à-dire qu’elle est bien ancrée dans la société et tous les facteurs doivent être pris en compte pour lutter contre ces inégalités.

Par ailleurs, M. Guida met en évidence le manque de sensibilisation et de remise en question du système éducatif par rapport à la réalité du terrain durant la formation initiale des enseignants. Les futurs professeurs sont donc moins outillés et contribuent, de manière consciente ou non, à la pérennisation de ce système inégalitaire de redoublement.

Dans une capitale où plus de 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté, le redoublement n’est que la partie émergée de l’iceberg. Il est donc important de donner « un coup de pied à la fourmilière » en stimulant des changements profonds au sein de la société belge afin de résoudre ce déséquilibre ancré dans notre système.

Au-delà des apparences, la Belgique comprend en son sein plusieurs imperfections à corriger telles que la ghettoïsation territoriale et spatiale, le blocage de l’ascension sociale, etc. qui sont également des facteurs à prendre en compte dans la question de l’inégalité scolaire.

 

Après ces analyses, te sens-tu gêner chère Belgique ?

Penses-tu que ce Pacte pour un enseignement d’Excellence proposé apportera une vraie perspective d’avenir ou sera-t-il également un soin palliatif comme les autres ?

Comptes-tu enfin écouter les experts et supprimer ce procédé qu’est le redoublement ?

Penses-tu être capable de revoir autant ton système éducatif que ton organisation sociétale ?

A suivre …

 

[1] Acronyme : Programme international pour le suivi des acquis des élèves
[2]   OCDE 2016 (Page consultée le 20 Octobre 2017). Pisa 2015: Résultats à la loupe, [en ligne], https://www.oecd.org/pisa/pisa-2015-results-in-focus-FR.pdf
[3]  Critères d’adhésion rigides en classe DASPA (Dispositif d’accueil et de scolarisation des élèves primo-arrivants)

 

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