11/05
2015
par Robert Chigoho Mitima, Thomas Mottet, Pegah Najm-Sadri, étudiants du MIAS1 de l’IESSID, catégorie sociale de la HE Paul-Henri Spaak

Maggie de Block, Theo Francken, statu quo pour les centres fermés ?

En Belgique, comme dans de nombreux autres pays européens, il existe des centres fermés, également appelés centres de détention pour personne en séjour illégal. On en compte six sur le territoire belge. Ces centres sont régis par le ministère en charge des questions d’Asile et de Migration.  Quels sont les évolutions et les enjeux des politiques de détention des étrangers ? Qui sont vraiment ces personnes derrière les grillages ? Quelle politique méritent-elles ? Que penser du phénomène Maggie de Block et du très médiatisé Theo Francken ? Essai d’analyse sur ces politiques qui dérangent…

Les centres fermés sont des institutions qui permettent une privation de liberté de circulation aux personnes d’origines étrangères en séjour illégal sur le territoire belge. Ils dépendent directement de l’Office des Étrangers qui à son tour travaille étroitement avec le ministère de l’Intérieur.

Il s’agit des personnes sans titre de séjour sur le territoire belge, les candidats réfugiés en fin de procédures, c’est-à-dire ne pouvant plus faire appel contre l’ordre de quitter le territoire au Conseil d’État; mais à ceux-là, nous pouvons également ajouter toute personne se présentant aux frontières sans documents nécessaires (passeport ou visa valable).

Le premier centre fermé a été créé en 1988 et est situé sur la chaussée de Haecht au numéro « 127 » d’où son appellation. Il était destiné à accueillir les étrangers sans documents de voyage valables. Il est notable que le flux migratoire est régulé par la situation socio-économique à un moment donné; ce qui justifie la création d’autres centres fermés comme le 127 bis et l’INAD qui accueillent ceux qui sont sur le territoire mais n’ont pas obtenu le titre de séjour.

Sous la politique de Maggie de Block

L’accord de Gouvernement sous le Premier Ministre Elio Di Rupo, en décembre 2011, projetait déjà des changements importants dans le secteur de l’Asile et de la Migration : un seul ministre en charge de ce domaine, révision de l’acquisition de la nationalité, accélération des réponses et procédures, plus grande efficacité des politiques de rapatriement, priorité mise sur l’expulsion effective des personnes arrêtées par la police alors qu’elles étaient en séjour illégal. Le processus de la « chasse aux abus » était lancé par Maggie de Block, secrétaire d’État à l’Asile et la Migration à l’époque.

«Un mouvement réformateur qui reste humain mais ferme. Tolérant mais ne tolérant pas les abus», nous dit un représentant MR qui a négocié les accords du gouvernement en 2011 et en 2014.

Selon José Sanchez, coordinateur de l’asbl Démocratie Plus, «L’ancienne politique d’asile et migration fut majoritairement plus restrictive qu’auparavant : moins d’accès au statut de réfugié politique, vitesse de traitement accélérée, etc. Lors des accords du Gouvernement de 2008, il avait été coulé dans le bronze qu’une «campagne de régularisation» serait effectuée (avantages aux familles avec enfants scolarisés, aux personnes pouvant prouver un long séjour en Belgique, aux travailleurs…) mais le gouvernement Di Rupo n’a réglé que très peu des cas prévus dans cet accord. Cette campagne a permis de voir arriver un nombre incalculable de demandes d’asiles, de régularisations. Elle a produit ce qu’on peut appeler un appel d’air pour de nombreux migrants venant d’Espagne, d’Italie, de Grèce et de partout ailleurs. Concernant les détentions en centres fermés, elles ont été médiatisées pour certains demandeurs d’asile. En ce qui concerne les illégaux (déboutés article 9), aucune médiatisation, rien ne transpire, il est donc très difficile d’évaluer leur nombre en centre fermés».

Aussi, Vanessa Sedziejewski, avocate au Barreau de Bruxelles et spécialisée dans le droit des étrangers, déclare que sous la législature de Maggie de Block, une augmentation des arrestations et des détentions des personnes illégales a eu lieu. «Auparavant, on constatait que les personnes se trouvant en centre fermé étaient des demandeurs d’asile contrôlés à la frontière ou des personnes ayant fait l’objet d’un contrôle de police, ou d’une dénonciation. Il s’agissait également de personnes qui avaient déjà demandé l’asile dans un autre pays européen (Cf Règlement de Dublin).»

La représentante MR nous ne parle pas de détention, ni de contrôle mais évoque plutôt la question des droits et des devoirs, une question de principe, «Il ne faut pas déplorer, en 2011, la crise, des gens venant de partout. Il y en a quelques-uns qui rentrent dans les critères et qui sont les bienvenus en Belgique mais quelques-uns qui ne respectent pas et qui ne rentrent pas dans les critères et on leur dit NON.» et elle ajoute : «Droits et Devoirs, on essaye de garder l’équilibre.»

D’après la représentante MR, les centres fermés restent un dernier recours. La politique étant une balise permettant d’établir l’équilibre entre droits et devoirs. L’accent est mis sur les abus : «Il y a beaucoup d’abus, le mois passé, nous avons eu à faire à 55% de retours d’Irakiens et de Syriens».

Durant sa carrière, à l’arrivée de Mme de Block, Vanessa Sedziejewski a pu constater à diverses occasions la détention des personnes qui avaient été déboutées de leur procédure d’asile et qui tentaient d’obtenir des documents via une autre procédure. «Il s’agissait de personnes qui se rendaient à la Commune dans le cadre d’une déclaration de mariage ou d’autres qui avaient reçu une décision négative dans le cadre d’une demande de régularisation (humanitaire ou médicale) alors même que leurs recours étaient toujours pendants devant le Conseil du Contentieux des étrangers.»

«Ces personnes avaient donc un vécu et des attaches en Belgique. Certaines étaient malades et donc vulnérables.»

«J’ai également eu le cas d’une jeune fille arrêtée seule à l’aéroport sans documents d’identité et qui disait être mineure, qui a été détenue au centre «Caricole», jusqu’à ce qu’un test osseux confirme sa minorité.»

On a également beaucoup entendu parler dans la presse des détentions et expulsions d’Afghans alors que nous connaissons tous la situation sécuritaire et humanitaire catastrophique dans ce pays.»

L’avocate de conclure: «Le recours à la détention a donc augmenté, alors même qu’il doit s’agir d’une procédure exceptionnelle. Cette pratique a également augmenté le nombre de recours introduits suite à ces arrestations. Le Conseil du Contentieux des étrangers a ainsi pu suspendre toute une série de décisions de maintien et sanctionner ainsi la politique menée.»

La politique menée par Maggie De Block durant son mandat a fait chuter les demandes d’asile de 27,000 à 15,000. Doit-on y voir un record affligeant ou plutôt une bonne nouvelle ? Selon elle, c’est bien-sûr une bonne chose et elle justifie ces chiffres par la hausse du taux de protection, passé de 22% à 29% et donne pour exemple le cas des Syriens.

Ces chiffres sont également partagés par la représentante MR, elle ajoute à cela les chiffres relatifs aux retours : «  Il y a 12 000 retours par an dont 3 000 forcés. »

Selon François Gemenne, chercheur en Sciences politiques à l’Université de Liège (Centre d’Études de l’Ethnicité et des Migrations – Cedem), «la politique d’asile et de détention menée par Maggie De Block fut une politique managériale, sombre et basée uniquement sur le chiffre».

Sans papiers = Sans droits = Criminel ?

C’est la première fois que l’Office des étrangers est piloté par le VLD. On peut lire dans l’accord de gouvernement l’intention d’étendre les centres fermés et d’y permettre à nouveau la détention des familles. « Parallèlement, les autorités continueront à investir plus intensivement dans les retours forcés », précise l’accord. Cette déclaration montre que la politique sera de réduire les acceptations et surtout d’accélérer les refus et de contrôler davantage les demandeurs en les plaçant dans un centre fermé et en les expulsant à l’échéance.

Lors de son audition parlementaire du 18 novembre dernier, le nouveau Secrétaire d’État à l’Asile et à la Migration, Theo Francken (N-VA), a déclaré que «tout sera mis en œuvre pour favoriser le retour volontaire». Il a énoncé les grandes lignes de sa politique pour les cinq ans à venir, concentrée notamment sur les retours, volontaires ou non. Un discours plus humain et respectueux cette fois-ci. En effet, Il souhaite qu’une attention particulière soit prêtée aux demandeurs d’asile mineurs non-accompagnés. Il veut « un projet de vie » pour ce groupe particulièrement vulnérable.

Il souligne vouloir «mener une politique d’asile et de migration ne donnant pas de faux espoirs et n’entraînant pas d’attentes irréalistes », grâce notamment à « des procédures et des décisions rapides ».

Par ailleurs, Theo Francken a surpris les médias avec son choix d’avoir à ses côtés un conseiller d’origine congolaise. Est-ce une stratégie de sa part pour apaiser les polémiques ?

Pour les acteurs interrogés (avocats, chercheurs, représentants du milieu associatif), la politique de M. Francken est une suite de celle de Mme De Block. Nous allons surtout assister à une augmentation des arrestations et des détentions d’étrangers illégaux. «Francken passe à l’acte» disent les interrogés.

Plusieurs acteurs, notamment la Ciré (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers) et un groupe d’avocats ont eu des réactions fortes. Une manifestation devant le centre fermé de Steenokkerzeel contre la politique de Theo Francken a également eu lieu le dimanche 26 octobre. « Depuis la publication de l’accord de gouvernement, il y a eu des manifestations, des réactions vives des citoyens concernant les allocations par exemple, mais sur les questions de migration et des personnes en détention en centre fermés, eux n’ont pas de syndicats donc pas de réactions fortes concernant les centres fermés » comme l’affirme François Gemenne.

Il est évident que les acteurs sociaux exigent depuis longtemps la suppression de tous les centres fermés. Tout d’abord, c’est la question de la détention qui attire l’attention. Comme dit Benoît De Boeck, chargé des questions enfermement et expulsions (Ciré) « Une détention, mais surtout une détention sans le droit de passer devant un juge, alors que les criminels possèdent ce droit ».

La représentante MR attire l’attention sur la priorité qui est donnée au programme du retour volontaire par les politiques en place. «  Une politique de retour consiste à privilégier le retour volontaire. Un retour forcé s‘il n’y a pas d’autres moyens. ». L’idée émise est en effet d’avoir certaines règles. Elle nous cite par exemple les règles relatives au regroupement familial  qui demande un minimum de ressources financières. Elle insiste sur la courte durée de la détention (le temps d’expulsion).

Deuxièmement, en matière de détention des enfants. La Belgique a déjà été condamnée à trois reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. Selon la représentante MR interrogée sur la question, la Belgique avait été condamnée par la Cour européenne pour le respect de la vie privée des familles et non pas pour les centres fermés. Donc, pour des modules dédiés à ces familles dans ces centres fermés, le problème ne se pose pas.

Or il a été considéré que «la détention des enfants violait l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 ratifiée par la Belgique par une loi du 25 novembre 1991 qui prescrit que l’intérêt de l’enfant doit être une considération primordiale dans toutes les décisions qui les concernent, ainsi que l’article 22 qui incite les États à prendre des mesures appropriées pour qu’un enfant qui cherche à obtenir le statut de réfugié bénéficie de la protection et de l’assistance humanitaire qu’il soit seul ou accompagné de ses parents.»

Le Cour avait considéré que l’infrastructure des centres fermés était inadaptée à l’accueil des enfants, rapports à l’appui (Affaire Muskhadzhiyeva et autres c/ Belgique).

Notre interlocutrice cite la loi votée en 2011, article 74.9 de la loi du 15 décembre 1980 qui évoque la possibilité de mettre des familles dans les centres fermés sous certaines conditions. Possibilité en effet de placer des familles dans des centres fermés pour une courte période (2 à 3 semaines) et dans un module familial. (Art 74/9 : 1er. «Une famille avec enfants mineurs qui a pénétré dans le Royaume sans satisfaire aux conditions fixées aux articles 2 ou 3, ou dont le séjour a cessé d’être régulier ou est irrégulier, n’est en principe pas placée dans un lieu tel que visé à l’article 74/8, § 2, à moins que celui-ci ne soit adapté aux besoins des familles avec enfants mineurs.»)

«La détention des enfants viole aussi l’article 28 de la convention relative aux droits de l’enfant ainsi que la loi du 29 juin 1983 sur l’obligation scolaire entre 6 et 18 ans, vu qu’aucun enseignement n’est donné en centre fermé» comme l’explique Vanessa Sedziejewski.

Et enfin, pose problème l’image attribuée à ce public par la politique de Francken «sans papiers = sans droits = criminel». «Ces mesures vont avoir un impact sur l’image des migrants qui seront vus comme des criminels enfermés dans des centres surveillés et grillagés», ajoute l’avocate en droit des étrangers, Vanessa Sedziejewski. Selon le MR, ceux qui vont se trouver dans les centres fermés sont ceux qui représentent des cas spécifiques, un certain nombre de personnes qu’on ne peut pas laisser libres et qui ne collaborent pas pour un retour volontaire.

Mais, dans la réalité, Theo Francken aura-t-il les moyens financiers pour ajouter des places supplémentaires dans les centres fermés? Malgré ses ambitions, son budget pour les rapatriements forcés est passé de près de 7,4 millions d’euros en 2014 à moins de 6 millions d’euros en 2015, écrit De Standaard. Theo Francken confirme que, comme tous les autres départements, son secteur doit faire des économies linéaires, mais qu’il a été convenu au sein du gouvernement que le budget pour les coûts des rapatriements fera l’objet d’une discussion approfondie en février, lors du contrôle budgétaire. Theo Francken souligne en outre qu’il peut mobiliser de nouvelles recettes, comme la remise en place d’un droit de rôle pour les regroupements familiaux. Il veut également réserver plus de vols de rapatriement auprès de Frontex, l’agence européenne qui surveille les frontières extérieures de l’Union européenne. Les «special flights» sont également meilleur marché. «Un premier vol de ce type part en décembre vers l’Albanie », annonce le secrétaire d’État. «En 2015, je veux organiser un tel vol chaque mois.»

En tout cas, nous pouvons conclure que la Belgique envoie un message clair aux étrangers  «Vous n’êtes pas les bienvenus». Même si notre représentante MR souhaite la bienvenue aux personnes qui rentrent dans les critères et qui les respectent.

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