Jeune sans abri: rencontre à découvert

Rencontre avec Nicolas, un jeune sans abri établi dans une rue commerçante du nord de Bruxelles. Il nous raconte comment la pandémie mondiale, qui bat son plein depuis mars 2020, a impacté son quotidien dans la rue. Quel a été son parcours et quelles ont été les conséquences de cette crise sanitaire sur son mode de vie et ses habitudes?

Propos recueillis par Mariame Collin

 

Comment êtes-vous devenu sans-abri?

C’était il y a cinq ans. J’avais 17 ans à l’époque, je vivais chez mes parents et ça faisait déjà un moment que j’avais arrêté les cours. Ce n’était pas pour moi, j’avais déjà doublé plusieurs fois et l’école ne voulait plus de moi: je n’étais pas un gosse facile, je le reconnais. Mes parents m’ont poussé pour que je trouve quelque chose à faire, un travail ou autre, mais je n’avais rien en tête à ce moment-là.

Après la dispute de trop, je suis parti chez un pote et je suis resté chez lui environ trois mois, mais on s’est disputé pour une bête histoire et je ne pouvais plus rester chez lui. J’ai commencé à dormir dans la rue, un soir, parce que je n’avais pas d’autre choix. Puis, ne trouvant pas d’autre solution, ça été deux soirs, puis trois. Je m’étais dit que c’était temporaire, mais finalement j’ai accepté la situation et, maintenant, c’est devenu mon quotidien.

Vos parents sont-ils au courant de votre situation?

Non. Depuis que je suis parti de la maison, je n’ai presque pas eu de contacts avec eux. Ma mère a essayé de me parler quand je vivais chez mon pote. C’est arrivé une fois, mais je ne voulais rien entendre. Tout ce qui s’était passé à la maison toutes ces années et la dernière dispute avant que je parte, c’était trop. La dispute, ce n’était pas la pire, mais c’est ce qui a fait déborder le vase.

Après ça, j’ai changé de téléphone, j’ai perdu leur numéro et, maintenant, je n’ai plus de nouvelles. Je sais encore où ils habitent, mais je me vois mal retourner là-bas, ne serait-ce que pour voir comment ils vont.

Bénéficiez-vous d’aides venant de travailleurs sociaux ou autres?

J’ai de l’aide des personnes du quartier: on m’apporte le journal, certains qui viennent faire leurs courses me demandent si j’ai besoin de quelque chose ou m’amènent un truc à boire ou à manger.

Après, est-ce que j’ai de l’aide de quelqu’un en particulier? Pas vraiment. Tout ce qui est travailleur social, j’y crois pas trop. On va dire que je ne veux pas m’en sortir. Le monde te regarde déjà mal quand tu es dans la rue. Les gens pensent que parce que je vis dehors, je suis moins bien qu’eux et du coup, ils se permettent des choses. Pourtant, j’ai vraiment pas besoin d’être jugé.

Plusieurs associations s’adressent aux personnes sans abri et leur offrent de quoi se loger, se nourrir. Recourez-vous à ces dispositifs?

Ça dépend. Je pourrais aller dormir dans un centre, mais, si c’est pour attraper le Covid, moi, je suis mieux ici. Là-bas, on dort avec plein de gens, des inconnus. Moi je n’ai pas une très bonne expérience de ces endroits. Je ne dis pas, c’est bien pour ceux qui ont besoin, mais ce n’est pas pour moi. De toute façon, avec tous ces confinements, ça devient dur de trouver des endroits où aller et si c’est pour faire toute la Belgique pour trouver un truc, alors ce n’est pas la peine.

Ça arrive quand même que j’aille prendre une douche dans des centres ou faire charger mon téléphone. Pour le téléphone, j’avais pas besoin avant le Covid: je le faisais charger ici chez les commerçants. Mais, pendant le confinement, tout était fermé: j’ai dû trouver autre chose. Ce qui est bien dans ces endroits, c’est qu’on te donne de l’eau et des masques si on demande, mais j’y vais pas tout le temps. C’est loin, il y a souvent du monde: on ne peut pas tous avoir ce qu’on veut.

Il y a quand même des choses qui sont mises en place, mais c’est juste que, moi, j’utilise pas trop, j’ai mes habitudes: ça fait des années que je suis ici et je trouve ce qu’il me faut.

Comment la situation Covid a-t-elle impacté votre situation?

Déjà, quand t’es sans abri, c’est pas si simple de faire les trucs les plus banals du quotidien. Dans ce quartier, on me connaît, je suis ici depuis des années. Les commerçants de la rue m’ont toujours aidé et même les habitués qui viennent faire leurs courses ou chercher leur journal me connaissent. Mais, du jour au lendemain, tout le monde était confiné: je ne voyais plus personne. L’air de rien, ça change quelque chose: en plus, tout le monde est devenu méfiant. Déjà on me regarde bizarrement parce que je suis à la rue, mais, avec ce Covid, c’est vraiment quelque chose. Pour la manche, tu te retrouves sans pièces de monnaie parce que les gens ont peur des microbes véhiculés par l’argent.

Plus personne n’approche plus personne et, pour se procurer des masques ou des protections, c’est toute une affaire. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé à devoir penser à des choses qui me semblaient si éloignées de mes préoccupations, genre porter un masque. Je suis à la rue, je ne vois personne, ça me sert à quoi?!

Comment vous êtes-vous adapté à toutes ces mesures imposées par les experts?

Je sais pas si c’est vraiment de l’adaptation, mais, quand on doit survivre, on fait comme on peut. Quand tu es dans une situation où tu n’as pas le choix, tu fais ce qu’il faut. Avec le coronavirus, c’est la même chose. J’ai été dans la rue du jour au lendemain, donc quand on nous a lancé ces nouvelles mesures du jour au lendemain, il a fallu faire avec.

C’est clair que la vie n’est plus comme avant maintenant: il faut porter le masque, il faut se laver les mains et on a encore moins envie de vous approcher qu’avant. Quand tu es sans abri, c’est compliqué de se laver les mains toutes les cinq minutes, on s’en doute. Il faut réfléchir autrement et changer certaines habitudes. Quand les magasins ont fermé, dans la rue, j’y ai perdu. La librairie m’aidait pour charger mon téléphone, j’allais aux toilettes au snack plus bas. Tout ça s’est arrêté du jour au lendemain. C’est pas la fin du monde, j’ai connu pire, mais tout de même, on ne s’y attendait pas au départ. Je me débrouille, je suis toujours là.

Avez-vous entendu parler ou bénéficiez-vous de l’attestation de non-hébergement[1]?

Oui, j’en ai entendu parler, mais je ne l’ai pas et je n’en ai pas besoin en fait. Personne ne m’a jamais dérangé jusqu’ici. La police passe tous les jours dans le quartier, le poste n’est pas loin et ils vont pas me faire partir: ils savent que j’ai nulle part où aller. C’est chez moi ici, je n’ai jamais eu de problèmes depuis le couvre-feu. On ne va pas venir me déranger, je pense. Ce serait le comble quand même.

Même si je me déplace un peu pour dormir à l’abri de la pluie ou du vent, je ne vais jamais très loin. Je reste dans le quartier, je ne dérange personne là où je me trouve. Je sais que ce n’est pas partout pareil, je ne demande pas de la pitié, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas nous respecter.

Encadré

Une protection et une sonnette d’alarme

Plusieurs associations se sont serré les coudes afin de mettre en place des programmes d’assistance pour aider les personnes sans abri durant ces temps de crise. C’est dans ce cadre qu’une attestation de non-hébergement, mise en place par plusieurs acteurs du secteur associatif[2], a pu voir le jour. «Cette attestation a pour but d’apporter une protection aux personnes sans logement face aux pressions policières, explique Sébastien Roy, directeur du Samusocial. Le couvre-feu ne tenait pas du tout compte du fait que certaines personnes sont obligées de se déplacer la nuit.»

Certaines personnes s’indignent de la création de cette attestation car cela démontre, selon eux, une situation d’une absurdité sans nom. En effet, il est vu comme aberrant qu’il ait fallu créer une attestation pour protéger les personnes vivant à la rue, comme si ces personnes avaient choisi de rester dehors. Mais la création de cette attestation avait en fait un double objectif, à savoir apporter une protection aux personnes vulnérables dans les rues, mais aussi être utilisée comme sonnette d’alarme pour montrer que les centres d’hébergement étaient pleins et qu’il fallait agir. Sébastien Roy explique: «Le Covid a permis d’augmenter notre capacité d’accueil et de passer les hébergements en 24 h/24, ainsi que de stabiliser la population dans les centres, sans que cela rencontre tous les besoins.»

Cette attestation a donc pu être bénéfique pour tous les publics, mais elle est aussi venue en soutien aux jeunes qui ne trouvent pas toujours leur place dans des structures déjà existantes et qui, par cette initiative, ont pu bénéficier d’une sorte de sécurité face aux éventuelles sanctions du non-respect du couvre-feu.

Comment envisagez-vous le futur?

Pour l’instant, je n’y pense pas trop. Dans l’immédiat, je pense d’abord à ne pas tomber malade et à vivre au jour le jour. Après, la question m’a déjà traversé. Bien sûr que je pense à plus tard, je suis encore jeune, même si je ne me sens plus si jeune que ça. Le temps passe vite et ça fait presque cinq ans que je suis sans abri. Je ne pensais pas que je vivrais dehors autant de temps, puis me voilà. Alors je me dis que, quand la situation sera calmée, quand on sera tranquille avec le Covid, ce sera plus facile pour avancer.

Je ne me vois pas rester ici toute ma vie non plus. Je suis une personne normale: en fin de compte, j’ai aussi des rêves et des choses qui me font envie. Je n’ai pas de diplôme donc, ça rend les projets plus difficiles. Surtout trouver un travail en ce moment, c’est pas possible, mais j’y pense, certains jours plus que d’autres. Je crois qu’un jour je finirai par me lever et avancer, mais là je n’y suis pas encore.

 

 

[1] Document délivré par certaines associations aux sans-abri, expliquant leur présence en rue après le couvre-feu. Voir encadré.

[2] Samusocial, Médecins du Monde, Diogènes, Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, Infirmiers de rue, Médecins sans Frontières, DoucheFlux, Syndicat des immenses, Droit à un toit, la Croix-Rouge et Transit.

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