L’espace public l’est-il vraiment?

Être jeune et apprendre à s’affirmer dans sa ville n’est pas toujours facile. Dans un contexte où l’espace public est de plus en plus encadré, de quelles libertés disposent les jeunes? Avec quelles conséquences?

À l’heure d’écrire ces quelques lignes, BruXitizen s’est achevé. Petit topo de ce que les ateliers et débats assignés au mot-dièse (hashtag) «rue» nous auront appris sur l’espace public.

 

  • Atelier espace public: entre autonomie et contrôle? réalisé dans le quartier maritime de Molenbeek

 

Acrobaties urbaines

Une question posée par la troisième édition de BruXitizen portait sur l’appropriation de l’espace public. Les adeptes du parkour (ou art du déplacement) ont une réponse. Se rendant d’un point A à un point B de la manière la plus rapide et la plus fluide possible, les «traceurs», qui doivent leur nom aux traces laissées sur les différentes infrastructures, l’ont bien compris et tentent d’apporter un regard nouveau sur le lieu de vie, comme l’explique Francisco De La Riva, cofondateur de l’asbl Parkour Xtreme. «Notre sport permet de mettre l’urbanisme en valeur en apportant un second souffle à certains endroits oubliés», témoigne-t-il. Néanmoins, le parkour, tout comme de nombreuses activités de rue, souffre d’une mauvaise réputation auprès des citoyens. «Quand les gens nous voient sauter sur les toits des garages, ils ne comprennent pas et appellent la police. On leur explique ensuite que nous utilisons l’infrastructure pour nous entraîner, mais nous ne dégradons rien. Il nous arrive même de nettoyer certains spots dans le but de les utiliser», affirme-t-il. Il existe un véritable «esprit parkour» qui prône le respect envers soi-même, mais également envers l’environnement, sans lequel la pratique n’est pas possible. «La rue nous permet de nous rendre compte de nos limites et surtout de ressentir les textures, le béton. En salle, pour l’entraînement, les risques sont moins grands», explique-t-il. Le parkour est fondamentalement un sport de rue. Cependant, certains parcs sont expressément conçus pour les traceurs. Certaines villes sont également plus adaptées à ce sport. «À Bruxelles, il n’y a pas trop de lieux publics pour le parkour. Il y a les puristes qui estiment qu’on n’a pas besoin de parcs puisque le principe de ce sport est aussi de s’adapter à l’environnement», poursuit Francisco.

Des maux sur un mur

La liberté de mouvement dans l’espace public est essentielle pour certains. D’autres ont choisi une autre forme d’appropriation, la liberté d’expression. Obêtre, artiste graffeur, expose sa vision des choses. L’espace «public» ne le serait que grâce à l’interaction, au dialogue possible entre les citoyens. Offrir un espace public aux habitants d’une ville est paradoxal puisque l’essence même de cet espace réside dans son appartenance au peuple. «Le problème c’est que les gens pensent que si on autorisait à taguer dans la rue, il y aurait des croix gammées et des zizis partout, ce qui n’est pas vrai», affirme-t-il.

Certains graffitis s’aventurent sur le terrain politique et l’on trouve parfois des critiques de la politique gouvernementale. «Le gouvernement, ce sont les murs, les barrières, les barbelés qui nous empêchent d’aller où l’on veut ou de nous exprimer. Quand on se retrouve face à un mur, on a le choix: on peut le casser ou le taguer», déclare Obêtre. Les graffitis que l’on trouve à Bruxelles sont cependant extrêmement variés. Des graffeurs évoquent leur intimité, certaines œuvres sont de réels hommages à des êtres chers. «Cette diversité, cette liberté d’expression permettent d’ouvrir l’esprit puisqu’il y a autant de raisons de graffer que de graffeurs», poursuit-il.

La rue, un lieu d’expression

Des emplacements, tels que des parcs ou des maisons de jeunes, sont destinés aux jeunes. Malheureusement, ils ne répondent qu’aux nécessités d’une majorité. Pour les activités minoritaires, telles que le parkour et le graffiti, peu d’infrastructures sont disponibles à Bruxelles. «Des espaces sont organisés pour les jeunes, alors que ce dont ils ont besoin, c’est de créer leurs propres espaces, déclare Obêtre. Chaque personne devrait pouvoir apporter des modifications dans l’espace public.» Selon Céline, représentante d’une commission mixte d’arrondissement, «l’expression permet de se construire. Il est donc important de permettre une parole sur les espaces dont les jeunes ont besoin». «En effet, beaucoup de jeunes n’ont même pas d’espace à eux dans leur propre maison», témoigne Hamid.

Cependant, afin d’assurer un bon vivre-ensemble, l’État intervient en garantissant la sécurité ainsi que l’hygiène dans les villes. Par le biais, notamment, des sanctions administratives communales (SAC), l’espace public se retrouve encadré. Avec, comme conséquence, un conflit entre les jeunes qui investissent l’espace public et la police. Hamid estime que ces sanctions sont nécessaires pour empêcher certains débordements. Toutefois, «les SAC n’empêchent rien, car, au final, le jeu en vaut parfois la chandelle. Les jeunes passent à l’action pour se faire entendre, car la rue est le seul endroit où ils peuvent s’exprimer. Ils transgressent les règles pour transmettre un message», explique-t-il. Selon le sociologue et professeur à l’Université de Saint-Louis, Abraham Franssen, «l’espace public serait aujourd’hui conçu non pas comme un espace d’expression, mais comme un espace de masse». Madeleine Guyot, directrice de l’AMO Samarcande, évoque le fait que l’espace public est censé créer une cohésion sociale, de l’interaction entre les citoyens. Cette sociabilité peut être créée grâce, notamment, à un espace public ouvert à la discussion. Pour assurer un bon vivre-ensemble, il est donc nécessaire de permettre l’épanouissement d’un dialogue entre différentes franges de la population.

Quid des SAC?

Entrées en vigueur le 1er janvier 2014, les sanctions administratives communales permettent aux communes de réprimer tout comportement jugé incivique. La sanction, qui varie selon la gravité des faits, est applicable dès 14 ans pour un jeune pris en flagrant délit. C’est là où le bât blesse pour les services d’aide en milieu ouvert (AMO) de Bruxelles qui critiquent la mise en application de cette loi. Les AMO estiment que ces sanctions sont disproportionnées au regard de l’objectif, et qu’elles constituent une régression des droits des jeunes, nous indique l’AMO SOS Jeunes. Ainsi, un collectif «SAC, non merci!» a été créé dans le but de protester face à ces mesures trop restrictives. En effet, bien que certains comportements doivent être contrôlés, ce sont les modalités d’application qui posent problème. Selon ces associations, on ne peut pas former le comportement civique d’un jeune au départ d’une loi arbitraire. L’application de la sanction, certes efficace, mais trop rapide, empêche toute discussion avec le jeune, fautif ou non. Ainsi, aucune pédagogie n’accompagne la sanction. De plus, agents constatateurs, fonctionnaires sanctionnateurs et autres médiateurs ne sont pas formés à l’éducation des jeunes. «Il n’est effectivement pas nécessaire d’être un professionnel de l’éducation pour constater une incivilité… Par contre, pour garantir un encadrement éducatif autour de la responsabilisation de l’acte, oui», souligne l’AMO Samarcande. Les droits fondamentaux des mineurs ne sont donc plus respectés.

 

 

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