Alex GD

Surpopulation carcérale, faut-il construire des nouvelles prisons ?

«Condamnée pour traitement inhumain et dégradant.» Voilà le verdict de la Cour européenne des droits de l’homme, prononcé le 17 mai 2017, condamnant la Belgique pour la qualité, ou plutôt le manque de qualité de ses prisons. Qu’est-ce qu’on lui reproche? Prisons surpeuplées, vétustes, manque d’hygiène, et on en passe.

Pour lutter contre la surpopulation, l’État se lance dans la construction de nouvelles prisons. Exemple le plus récent: le projet de construction d’une prison à Haren pouvant accueillir 1.190 détenus, résultant d’un partenariat public-privé, censé améliorer les conditions de vie des détenus. Pourtant de nombreux exemples dans d’autres pays montrent que de grandes prisons ont un impact négatif sur la réinsertion des détenus dans la société à leur sortie. Certes les conditions matérielles de vie sont améliorées, mais voilà qu’ils se retrouvent encore plus désocialisés, déconnectés du reste de la société, et même des autres détenus et des gardiens. De plus, de nombreux observateurs estiment que si on veut réinsérer les détenus dans la société et éviter la récidive, il faudrait de petites prisons, à taille humaine, où les individus ne sont pas complètement décloisonnés de la société.

Autre solution mise en avant: diminuer le nombre de peines de privation de liberté prononcées. On assiste depuis quelques années au niveau du droit pénal, via certaines réformes, à ce qu’on appelle l’extension du filet. Des peines alternatives à la prison ont été imaginées pour vider les prisons et permettre des conditions de vie acceptables, mais elles n’ont en rien fait cela. On observe une augmentation du nombre de peines prononcées, sans que les prisons se vident. C’est que, maintenant, au lieu de prononcer une peine de prison, on procède à une peine de travaux d’intérêt général, à des transactions pénales, etc. Donc, au final, le problème de la surpopulation carcérale et des conditions de détention ne se règle pas.

Alter Médialab a interrogé Delphine Paci, avocate et membre de l’Observatoire international des prisons, et Damien Scalia, directeur du Centre de recherche en droit pénal et membre de la Ligue des droits humains, sur le sujet du système pénal belge.

Alter Médialab: Les peines de prison ne sont apparemment pas le meilleur moyen pour lutter contre la criminalité, les individus étant placés en prison ayant plus de risques de récidiver à leur sortie. Que pensez-vous de ce constat? Comment faudrait-il lutter contre la criminalité selon vous? Les peines alternatives sont-elles un bon moyen?

Delphine Paci: Le système actuel est dangereux, car il crée de la délinquance, du désespoir, du terrorisme, ou du potentiel terrorisme. On désinsère, on désaffilie, c’est monstrueux! Les gens dangereux sont vraiment une minorité, ils représentent 1% de la population carcérale. Pour les autres, il faut bien comprendre que la prison c’est avant tout une gestion du social. On retrouve toutes les misères en prison. On va surtout s’attaquer aux sans-papiers qui volent des portefeuilles, à la délinquance liée à la drogue, etc. Il faut sortir d’une logique pénale.

C’est bien de penser aux peines alternatives, mais je voudrais qu’on aille un pas plus loin. Est-ce qu’il faut de la répression pour tout? Je n’en suis pas persuadée. C’est rarement très éducatif. Le bracelet électronique, quand on a la baraque de DSK, ça va; quand on est à la cité Miroir, c’est plus compliqué. Oui aux sanctions alternatives, mais oui aussi aux alternatives aux sanctions.

Oui aux sanctions alternatives, mais oui aussi aux alternatives aux sanctions.

Damien Scalia: La prison n’est pas un bon chemin. Dans les États qui mettent en avant de vraies alternatives à la prison, qui ne désinsèrent pas de la société, la récidive chute à un tiers, voire moins. La prison ne permet pas d’éviter la récidive. D’autres systèmes semblent le permettre un peu mieux.

La justice pénale actuelle poursuit une logique de prévention: «Punir quelqu’un, ça va prévenir les infractions, les siennes et surtout celles des autres.» C’est scientifiquement indémontrable, mais idéologiquement indémontable. Tout le monde y croit, mais on ne peut pas prouver que ça fonctionne. Soit on n’a pas de résultats, soit on a des résultats contraires à ceux qu’on attendait et qu’on ne remet pas en cause. Les alternatives à la prison, il en existe plein, il faut juste accepter de les mettre en place et d’y mettre l’argent. Mais il n’y a pas de volonté politique actuellement.

AML: On lit dans les médias que le projet de construction d’une nouvelle mégaprison à Haren a le vent en poupe; que pensez-vous personnellement de ce projet? Est-ce qu’il permettra de meilleures conditions pour les détenus? Que pensez-vous du fait que cette prison sera gérée par une compagnie privée en collaboration avec l’État?

Delphine Paci: Le seul intérêt de faire du partenariat public-privé, c’est de maîtriser le budget année par année. Le risque, c’est qu’il y ait des sociétés privées qui développent un intérêt à l’incarcération. On pourrait voir des lobbys se développer, comme aux États-Unis. Les autres pays qui se sont lancés dans des partenariats public-privé, comme l’Angleterre et la France, font marche arrière. Il faut arrêter de construire des prisons et essayer de vider les prisons existantes au maximum. Mais ce n’est pas dans la mouvance politique actuelle.

Les nouvelles prisons sont super-modernes, très froides, trop grandes. Criminologiquement, c’est une aberration. Tout est tellement informatisé qu’on perd ce contact humain qui existait dans les vieilles prisons avec les agents. Cela dit, la prison de Haren est conçue avec des principes de normalisation et des liens qui vont être développés avec l’extérieur.

Damien Scalia: Les nouvelles prisons, c’est contraire à tout ce qu’il faut faire, ce sont des choix qui ont été faits il y a 15 ans, au moment où on pensait que les grandes prisons avaient un intérêt. Aujourd’hui, s’il faut faire des prisons, il faut en faire des petites. Avec la construction de la nouvelle prison à Haren, on ne fait qu’augmenter le parc carcéral. Et la nature a horreur du vide.

AML: Êtes-vous pessimiste concernant le futur?

Delphine Paci: Il faut surtout essayer d’éduquer les gens, leur faire prendre conscience que, supprimer des prisons, ce n’est pas un slogan «d’islamo-bobo-gaucho», mais que les gens sont vraiment en danger à cause de cet outil. C’est du bon sens pur, c’est pourquoi je pense que ce discours peut être porté même au milieu d’une foule de gilets jaunes. Est-ce que vous avez envie de croiser un type qui a passé 10 ans en taule, qui a été maltraité et humilié? Est-ce que vous pensez qu’il sort dans de bonnes conditions? Est-ce qu’il n’a pas un peu la haine contre le système?

Damien Scalia: Je pense qu’on va aller vers une répression de plus en plus grande, vers un contrôle accru, peut-être pas pénal au sens où on l’entend maintenant, mais quelque chose de répressif et de consenti par une partie de la population. On entend tellement dire qu’on est en danger, qu’il y a un moment où on se dit qu’être contrôlé, ce n’est finalement pas si grave.

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