Le redoublement, un facteur d’inégalité scolaire

L’enseignement francophone de Belgique est connu pour être l’enseignement avec un fort taux de redoublement parmi les pays de l’OCDE. En 2019, plus de 60% des élèves en 5e secondaire ont doublé au moins une fois… dont plus de la moitié deux fois[1]. Est-ce un des facteurs expliquant les fortes inégalités présentes dans l’enseignement francophone? Nous avons tenté d’y voir plus clair à travers diverses sources, tantôt à caractère scientifique produites par des chercheurs en sciences de l’éducation ou sciences sociales, tantôt à caractère associatif ayant un objectif politique dans la production de ses données.

Pour mieux saisir la vision de la justice et des égalités de chances au sein de l’enseignement, nous nous sommes intéressés à un texte en particulier «L’égalité à l’école: qu’en pensent les enseignants du primaire en Belgique francophone?» de Vincent Dupriez et Xavier Dumay. Au sein de cette production, on remarque que la majorité des professeurs de l’enseignement primaire ne tiennent pas compte, souvent de manière inconsciente, des inégalités externes au système éducatif. Il est également important de préciser que l’article, en s’axant sur l’enseignement primaire, permet de mieux comprendre le redoublement scolaire dès les premiers stades de l’enseignement.

Néanmoins dans cet article, les auteurs montrent que les enseignants sont soucieux d’un respect de traitement entre les élèves. Ils nomment cela «égalité de respect»[2]. Par ailleurs, Dupriez et Dumay interrogent l’enseignement pour tous en signalant une incohérence selon eux du système éducatif. L’enseignement s’est donné la vocation d’être un ascenseur social, en permettant à tous d’y entrer, mais il ne s’est pas fixé «une égalité de résultats entre groupes sociaux»[3].

Dès la troisième maternelle

Des éléments corroborés dans l’étude PISA de 2018 (disponible sur le site de la Fédération Wallonie-Bruxelles) puisque l’enseignement en Fédération Wallonie Bruxelles est parmi ceux de l’OCDE ayant les résultats les plus différenciés entre les 25% d’élèves les plus favorisés et les 25% d’élèves défavorisés. L’étude PISA souligne que ce genre d’enseignement présent en Belgique francophone et dans d’autres pays, comme la France, l’Allemagne ou le Luxembourg, favorise le redoublement.

Dans cette même étude, l’enseignement francophone de Belgique obtient par exemple un faible score dans le domaine de la lecture pour des élèves de 15 ans, avec à ce niveau une différence significative entre les résultats dans le domaine de la lecture et l’origine socio-économique des élèves. Un autre fait très interpellant selon l’étude montre que les élèves d’origine immigrée ont pour de semblables caractéristiques socio-économiques près de deux fois plus de «chances» d’être en retard scolaire que leurs camarades dit «natifs».

Un mal considéré comme nécessaire

C’est que le redoublement semble être entré dans la norme, comme on le découvre à la lecture de l’article «Les fonctions latentes du redoublement. Enseignements d’une politique de lutte contre le redoublement en Belgique francophone» de Hugues Draelant. Dans ce texte, 78% des enseignants du secondaire sont favorables ou du moins acceptent l’idée du redoublement comme un «mal nécessaire»[4] afin de permettre à l’élève d’acquérir la matière qu’il n’a pas su apprendre au cours d’une année standard.

Dans ce même article, l’auteur pointe du doigt «l’accord social» expliquant que le redoublement soit massif. Il constate une croyance profondément ancrée, celle d’une égalité de réussite face aux cours donnés dépendant de la volonté de chaque élève, ainsi qu’une «inégalité juste» face aux résultats, et donc devant le redoublement. L’auteur montre que si le redoublement reste massif et très présent comme conviction d’amélioration pour les élèves, c’est parce que les enseignants, pour pouvoir continuer à exercer leur métier dans le système éducatif actuel, se «masquent» la réalité d’un voile idyllique dans lequel tous les élèves partiraient avec les mêmes chances. Souvent, ce voile est créé de manière involontaire.

Parmi les fonctions latentes du redoublement, il y en a une qui sort du lot, celle de gestion de l’hétérogénéité et de tri des élèves au sein des établissements. En effet, selon l’auteur, l’enseignement francophone favorise une hétérogénéité scolaire au sein des établissements. Ce même enseignement use fréquemment du redoublement et de l’orientation comme moyen de gestion de l’hétérogénéité du public scolaire. Ainsi, entre la fin des années 90 et le début des années 2000, s’il y a eu une suppression partielle du redoublement, celui-ci a fait place à une forte augmentation de l’orientation scolaire dans d’autres types d’enseignements, notamment en technique et en professionnel.

 

Si le redoublement reste très présent comme conviction d’amélioration pour les élèves, c’est parce que les enseignants, pour pouvoir continuer à exercer leur métier dans le système éducatif actuel, se «masquent» la réalité d’un voile idyllique dans lequel tous les élèves partiraient avec les mêmes chances.

 

Parents comme professeurs

L’auteur montre aussi que, dans le sens commun, enseignants et parents sont influencés par la présence d’un fort redoublement/orientation au sein d’établissement. Ainsi, pour les parents, les meilleures écoles sont celles élitistes qui montrent un fort taux de redoublement, système d’orientation, ne permettant donc qu’aux meilleurs de réussir. Il en va de même pour les enseignants pour qui la qualité des établissements scolaires se révèle dans son degré de sélectivité des élèves réussissant.

On pourrait aller plus loin, en voyant dans notre enseignement une logique de «méritocratie». Au sein du texte «La méritocratie scolaire. Un modèle de justice à l’épreuve du marché», on observe que ce principe de méritocratie présent dans d’autres systèmes éducatifs, que ce soit en France ou en Angleterre, révèle une imprégnation dans l’enseignement de ces pays des lois du marché, notamment du travail où seuls les meilleurs sont pris. En Belgique, certains acteurs de terrain dénoncent d’ailleurs ce système comme faussement méritocratique. C’est le cas de la Ligue des droits de l’enfant qui essaye aussi bien que possible de peser sur les décisions des pouvoirs politiques en matière d’enseignement.

 

 

[1] Benoît Galand, Dominique Lafontaine, Ariane Baye, Dylan Dachet, Christian Monseur, «Le redoublement est inefficace, socialement injuste et favorise le décrochage scolaire», in Les Cahiers des sciences de l’éducation, n°38, 2019, p. 1.

[2] In Revue française de pédagogie, 2008/2, n°63, p. 77 à 89.

[3] Vincent Dupriez et Xavier Dumay, op. cit., p. 77 à 89.

[4] Expression telle quelle dans l’article de M. Draelant.

 

En savoir plus

Lire l’article d’Alter Échos, «Des inégalités plein le cartable»,

 

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